Inaugurée il y a trois ans à Paris dans l'enceinte du Palais de la Porte Dorée, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration serait menacée. En cause, le manque de fréquentation de l'établissement. Visité essentiellement par des délégations scolaires. Il ne ferait plus recette, mais est-ce là son objectif ? Officieusement, d'autres raisons sont avancées. Les piteux résultats des dernières élections régionales inciteraient le pouvoir en place à donner des gages à ses électeurs égarés, afin de les ramener dans le giron du parti présidentiel. Cette hypothèse, réduisant la Cité à une enseigne, à une carte à jouer de la politique politicienne, est tellement schématique qu'elle semble peu crédible et si étriquée qu'elle fait injure à tout le travail présenté depuis 2007. Le Président de la Cité, Jacques Toubon a sonné l'alarme sur une radio nationale. Il résume la situation d'une formule : "On est un grand sujet avec un petit établissement". Un grand sujet, certainement, que la Cité s'est employé à traiter avec tout le sérieux et le soin qu'on lui doit. Récemment invité par la Cité pour présenter à sa manière les travaux du sociologue algérien Abdelmalek Sayad, Smaïn Laacher ne rappelait-il pas que l'immigration est l'exact reflet de l'image qu'un Etat se fait de lui-même et qu'il donne à voir ? Qu'en investissant l'Etat à la marge, l'immigration en dessine les contours ? Et c'est bien de la France et des siens qu'il s'agit, la Cité ayant toujours refusé d'incarner la césure entre "eux" et "nous", comme le rappelle l'historien Gérard Noiriel, l'un des pères fondateurs du Musée. En présentant des parcours d'exil, en exposant le contenu des valises de l'émigrant, en donnant à lire ses gazettes, la Cité nous parle de destins individuels et universels, de vies dans toutes leurs dimensions. Ce faisant, elle parvient à inventer une muséologie qui ne soit ni celle des objets, ni celle des discours, mais plutôt celle des regards et de l'altérité. En cela, la rupture avec le Musée des colonies est réussie. Contrairement à son prédécesseur, la Cité se présente comme un projet de collecte, non plus de collection. Les visiteurs peuvent d'ailleurs s'associer au recueil des traces matérielles et immatérielles de l'histoire de l'immigration, en filmant leur témoignage dans les petits pavillons d'enregistrement prévus à cet effet au rez-de-chaussée du Palais de la Porte Dorée. D'un grand sujet, la Cité parvient peu à peu à faire un objet. Cet automne, l'exposition photographique de Mohamed Bourouissa, sublime, a présenté des scènes de la banlieue ordinaire, savamment mises en scène et rejouées par des modèles rencontrés sur place. Sans rien de plus spectaculaire que des regards qui se croisent et se jaugent, le travail de M. Bourouissa met en scène la banlieue en tant qu'objet conceptuel et artistique, en démontant les clichés habituels sur le sujet. Chaque semaine, la Cité propose à ses visiteurs un programme riche et varié. Mardi 6 avril 2010, la Cité rend hommage à Saïd Bouziri, un autre père fondateur de l'endroit et militant de la première heure en faveur des immigrés. A travers des documentaires, elle présentera ce soir-là les luttes des travailleurs immigrés de 1970 à 1982. Jeudi 8 avril, l'UniverCité proposera une conférence sur la police de l'immigration et la carte d'identité en France, de 1917 à 1940, pour mieux comprendre la genèse du dispositif administratif et policier de contrôle des étrangers en France. Enfin, le 12 juin 2010, le prix littéraire de la Porte Dorée récompensera un roman écrit en français traitant du thème de l'exil ; l'éloignement de la terre natale pouvant être source de créativité et d'inspiration. Espérons que la rumeur d'une disparition annoncée de la Cité se sera dissipée d'ici-là. De Paris pour Le Temps, Florence Privat