Un étranger, à la manière de Tawhidi, qui arpente une ville, un pays, qu'il ne reconnaît pas. Ou plus ? Cela tient à un rien, quelques petits détails, infimes, comme des égratignures légères, sur sa peau, dont il ne parvient pas à définir l'origine. Mais ces traces d'écorchures, qui ont prise sur son âme, se sont enflammés à son corps défendant, et suintent désormais d'un poison insidieux, qui lui brise son élan et le laisse sans recours. Comme au réveil d'un sommeil lourd, hanté de noir cauchemars, le narrateur se retrouve un jour, sans comprendre pourquoi, ni comment, amputé de tous ses rêves. Infirme, sans aucun désir qui vaille, sauf celui de quitter ce pays qui le ronge, comme un mal mystérieux dont aucun médecin n'est parvenu à diagnostiquer l'origine. Mais parviendra t-il à prendre son envol ? Rien n'est moins sûr… Sedki Abdjelil est un monsieur K. qui s'est intenté lui-même son propre procès, quand la « quadrature » du cercle qui l'enserrait de toutes parts, a fini d'avoir raison de toute velléité de volonté chez lui. Sauf d'un sursaut, qui ne se révèlera même pas salvateur. En partance pour un ailleurs, où qu'il soit, quel qu'il soit, pourvu qu'il quitte ces terres arides, où il a éprouvé la valeur de toutes finitudes quand il cherchait la transcendance, il est comme ces exilés dont la patrie, par un soudain coup de dés du sort, a perdu son nom et son âme, les laissant abandonnés entre deux escales, sans identité à décliner, refoulés d'une rive l'autre, jusqu'au vertige. Sedki Abdjelil, le narrateur, se dédouble, et regarde sa vie à rebours, comme dans un miroir sans tain, qui le renvoie à sa propre histoire, inextricablement liée à celle de sa ville, qu'il quadrille inlassablement, dans tous les sens, sans parvenir à trouver réponse à ses questionnements. La quête est douloureuse quand l'échec pointe son nez à chaque tentative d'en sortir, et l'amour, l'amitié, ou l'art, ne le sauveront pas. Jusqu'au bout il y a cru… Cela tient à quelques détails infimes, cela tient à un rien, mais la fuite en avant a un goût de fruit rance. Il « sent une odeur de décomposition ». Il ne partira pas. Samia HARRAR
*«Tafassilon Saghiraton », ed Dar el Janoub-Tunis, collection « Al Ouyoun el Mouâssira ». 299 pages.