À l'heure actuelle, il n'existe aucune autorité spirituelle, aucun critère "objectif", aucune œuvre privilégiée qui permette de désigner de manière infaillible et universalisable ni la religion vraie, ni le Modèle d'Action historique moderne validable sous toutes les latitudes. Le régime démocratique est offert à tous comme un projet à perfectionner sans cesse. Nous savons qu'un Modèle islamique concurrent est défendu par des mouvements qui alimentent les polarisations idéologiques en cours du couple infernal Islam/Occident. Cela veut dire qu'il importe de s'attarder à la disqualification de toute notion de Modèle universel. Les contestations mutuelles des écoles (madâhib) et des sectes (tawâ'if, firaq, nihal) doivent faire l'objet d'un examen prioritaire dans la perspective d'une extension de la critique archéologique à la tradition islamique exhaustive. Dans la période de formation et de collecte des traditions prophétiques et imâmites, la nécessité d'une vigilance critique s'était déjà imposée face à la prolifération des faussaires. La relation critique aux corpus ainsi élaborés et légués, doit aller bien plus loin que celle esquissée et de toutes façons dépassée des médiévaux. Il va de soi que l'enquête doit s'étendre aussi aux récits relatifs à la constitution du Mushaf. Toutes les tâches qu'on vient d'indiquer ont déjà fait l'objet de travaux nombreux et fiables qui permettent d'aborder deux moments critiques complémentaires et négligés jusqu'ici : D'une part, l'évaluation historico-anthropologique de toute la littérature normative qui fonde la foi, les systèmes de croyances et de non-croyances, les légitimités politiques et juridiques anciennes et contemporaines ; D'autre part, la critique philosophique des régimes de vérité liés aux « connaissances » axiomatiques propres à l'espace historique de déploiement du Monothéisme dans sa lente et longue expansion. Les deux critiques conjuguées permettront de suivre les interférences, les solidarités, les conflits, les ruptures de deux postures toujours actives de la raison : la posture dite religieuse et la posture propre à ce que j'appelle la raison en voie d'émergence depuis le tournant du 20e au 21e siècle. Les enquêtes multiples ainsi ouvertes nous ouvriront les voies de ce que j'ai appelé les nouveaux horizons de la relation critique. La controverse ‘Amilî/Abû Zahra peut servir de point de départ à une patiente remontée des siècles jusqu'en 632. De nombreux jalons ont été posés déjà sur cette route parcourue dans un va et vient progressif-régressif comme je l'ai montré dans un grand nombre de publications. Je pense à l'imposante somme donnée par mon ami Joseph van Ess dans Théologie et Société dans les 3 premiers siècles de l'hégire ; beaucoup d'autres monographies sont venues enrichir et discuter cette contribution incontournable. Dans cette perspective, je mentionnerai deux parcours demeurés encore négligés de la relation critique : -Récapituler et approfondir les problèmes liés au socle de repères et de postulats communs à la longue suite de polémiques et débats entre sunnites et shî‘ites ; -Remettre en perspective historique et doctrinal les lieux (topoi) de la controverse dans la clôture dogmatique islamique et dans la perspective d'une topologie du sens distingué des effets de sens et des effets de légitimité.