Il s'était retiré depuis très longtemps, dans son petit village ardéchois, pour y vivre simplement, en accord profond avec ses idées, et son engagement. Au point qu'il fût peut-être oublié de la scène, sans pour autant l'être de son public. Car Jean Ferrat qui nous a quitté le samedi 13 mars pour rejoindre le « Grand ailleurs », a occupé eu une place à part, dans le monde de la chanson française. Dans le même « panthéon » s'il en est que Brel, et Brassens. Une place à part mais pas privilégiée dans un univers où le « politiquement correct », primait sur le talent, fût-il le plus immense. Et Ferrat n'a jamais eu peur de pourfendre le calme clos d'un monde où les choses se disaient en demi-teinte, parce qu'il n'était pas dans la demi-mesure. Mais il était poète avant d'être engagé, et il était engagé avant d'être poète, ces deux constantes de son être, inextricablement liées, aboutissant au final, à des textes, d'une beauté flamboyante, à des chansons lumineuses, qui vous tailladent les veines et s'incrustent dans vos tripes, où rien ni personne ne pourra les déloger. Aujourd'hui Ferrat n'est plus là pour nous chanter l'amour comme personne ; à sa manière à lui, simple et profonde, ou à la manière d'Aragon. Dont il ne contribuera pas pour peu à connaître la poésie, en la mettant en musique, avec une douceur, une empathie et une tendresse, qui furent, sans nul doute, ses marques de fabrique. Tout autant que sa révolte, sa rigueur, et son refus de pactiser avec le silence, quand la parole devient impérieuse. Qui ne se souvient de « Potemkine ? », de « Nuit et brouillard ? », dont la censure a voulu faire son lit, sans jamais tout à fait y parvenir ? Les prises de position de Ferrat étaient claires, et sans retour, et ses convictions inébranlables. Car au-delà de son compagnonnage fidèle avec le parti communiste français, auquel le chanteur avait adhéré parce qu'il était « rouge de cœur », sans jamais se laisser pourtant embrigader, prenant ses distances avec Moscou pour bien marquer son attachement à la justice et à la conception qu'il se faisait de la fraternité humaine, loin de la vacuité des idéologies creuses, Jean Ferrat, de son vrai nom Jean Tenenbaum, ne comprenait pas que des hommes puissent asservir des hommes, quelque soit le détour que l'arnaque collective puisse emprunter. Et puis il ne faut pas oublier que son père est mort à Auschwitz, qu'il avait onze ans à l'époque, et que ce n'est pas anodin. Toujours est-il que si son engagement est entier, il l'est aussi par sa manière de se colleter la poésie à bras-le corps, léguant à la postérité des titres, d'une émouvante simplicité, avec les mots de tous les jours mais des mots de poète, comme sans doute on n'en rencontrera plus. Ou pas souvent, ou pas avant très longtemps… C'est lui qui écrira « Mon vieux », que chantera Daniel Guichard, mais pas seulement. Et qui mettra en musique et chantera, les plus belles poésies d'Aragon. « Que serais-je sans toi… », « Aimer à perdre la raison », « Heureux celui qui meurt d'aimer »… Et puis, « Camarade »… Inoubliable Ferrat…