Depuis la nuit des temps, la jalousie fraternelle, ce mélange d'amour et de haine alimente les mythes et forge la relation duelle entre frère et sœur au même titre que la dispute et la rivalité ou la complicité et le partage. Tous les parents en sont conscients et veillent particulièrement à ce que ce sentiment, naguère inavouable et réprimé, soit exprimé sans la limite du tolérable. La fratrie ne peut se mouvoir sans jalousie, ce réflexe instinctif qui aide l'enfant, selon les psychologues, à s'affirmer et à se socialiser et lui permet de régler ses problèmes et de tester ses limites quand il est en face de son rival. Il apprend vraiment ce qu'est l'altérité et c'est ce côté sain que les parents doivent développer en lui, car la jalousie devient néfaste si elle est source de souffrance, voire d'isolement. Les bagarres qui éclatent entre frères et sœurs sont l'expression évidente de leurs différences et de leurs jalousies. Aux parents de les gérer avec diplomatie, en évitant de trop s'en mêler, d'autant plus qu'elles contribuent à leur maturation en évoluant dans le sens d'une saine complicité entre eux. "Mes enfants se crêpent le chignon à longueur de journée" avoue Mme Saloua tandis que sa collègue Alya fustige "la foire d'empoigne qui a lieu épisodiquement chez elle, surtout pendant les vacances scolaires", elle qui est mère d'une famille nombreuse. Toutes deux focalisent sur ce qu'elles qualifient de "vilain défaut" qui met, de temps à autre, la maisonnée, sens-dessus, sens-dessous. Elles oublient que "la jalousie est une chose complexe et compliquée qu'on ne peut occulter. Elle fait partie de nous, comme disent les psychiatres, même lorsqu'elle est fortement refoulée, déplacée, sublimée, intellectualisée. Aujourd'hui, elle est délestée de jugement moral et présentée comme un sentiment naturel, inévitable, qui peut et doit s'exprimer sans honte". Il semble même que la psychanalyse lui ait découvert des vertus puisqu'elle conseille aux parents de "mettre en scène la jalousie plutôt que de la taire". Il leur serait ainsi bénéfique de questionner leurs enfants sur leurs sentiments vis-à-vis du frère ou de la sœur jalousée afin de trouver la parade, au lieu de les rabrouer vertement provocant en eux des ressentiments nuisibles à toute la famille. Néanmoins, il faudrait être attentif aux limites du tolérable, car la jalousie peut s'accompagner, dans certains cas, de violence imprévisible et inconsciente à la fois. Un exemple édifiant nous est raconté par cette jeune mère qui a surpris son enfant de cinq ans, agacé par les pleurs de sa sœur à peine âgée de deux ans, en train de l'étouffer avec l'oreiller. "J'étais dans la cuisine pour préparer le dîner quand soudain les pleurs, qui émanaient de la chambre de Saoussen, cessèrent brusquement. J'eus comme un haut- le corps qui m'oppressa subitement la poitrine : Qu'a fait mon chouchou Ahmed à sa petite frangine ? Sans réfléchir, j'ai accouru, à toute vitesse, pour le découvrir à califourchon sur l'oreiller placé sur le visage de la gamine. J'ai sursauté de stupeur et plaqué le môme à même le carrelage. Ma petite Saoussen venait de l'échapper belle !" devait-elle se confier, la gorge nouée de sanglots à peine audibles. Voilà où peut mener la jalousie incontrôlée et incontrôlable de la petite enfance. Aux parents d'être sur leur garde.