L'Union pour la Méditerranée est lancée. A Paris, le week-end dernier, dans ces fastes dont la capitale française a perdu depuis quelques années les sensations, les chefs d'Etat et chefs de gouvernement des rives Nord et Sud de la Méditerranée étaient quasiment tous d'accord sur un point fondamental: redonner sa dimension à cette Méditerranée, berceau de la civilisation essentielle et accoucheuse d'histoire. Sans doute les choses se sont-elles un peu précipitées depuis l'annonce du projet, le 7 février 2007 par Nicolas Sarkozy et le scepticisme qu'a nourri cette annonce lorsque le président français eut cette phrase à propos de ce qu'on a appelé "réhabilitation de la colonisation". Ce jour-là, il disait qu'elle (la colonisation) "ne fut pas tant un rêve de conquête qu'un rêve de civilisation". Une espèce de paraphrase d'Alexandre le Grand. Mais à cette époque il n'y avait pas encore de fracture culturelle. Il n'y avait pas encore de rive Nord et de rive Sud à proprement parler. Il n'y avait pas de flux migratoire. Il n'y avait pas de bases militaires dans le Sud, et la Méditerranée faisait son histoire à coups de guerres. Si le scepticisme était (et est encore) patent du côté du Sud c'est parce qu'on connaît la tentation historique du Nord à contenir le Sud. Parce qu'on sait aussi que les pays très au Nord (comme l'Allemagne), voient d'un mauvais œil cette "exceptionnelle proximité" que seule la Méditerranée sait stimuler , au vu d'une prétendue fracture culturelle que d'aucuns "veulent essentialiser et même naturaliser". C'est ce que Sarkozy s'est évertué à expliquer à Merkel lors de l'accord de Hanovre. Et le président français a d'autant plus usé de son sens de la persuasion qu'il a offert des garanties quant au maintien de l'engagement français pour une Europe horizontale Est/Ouest, problématique plus inquiétante, aux yeux de l'Espagne et de l'Italie, que l'harmonisation des rives Nord et Sud de la Méditerranée. Or, ces derniers temps, on a vu très peu d'Amérique et beaucoup de France. Rôle très gaulliste sans doute. Géographiquement cohérent et historiquement légitime. De surcroît le projet de l'UPM vient quelque peu supplanter le côté surréaliste du nouveau Grand Moyen Orient dont Bush a fini par mesurer l'utopie. Peut-être, a-t-on un peu exagéré dans ces fastes très politiques en focalisant sur Bachar Al Assad, dont on oubliait jusque-là qu'il pouvait faire partie de la solution et pas uniquement du problème dans le bourbier moyen oriental. On a trop spéculé sur une poignée de main entre le président syrien et Olmert. C'est aller trop vite en besogne. Au final, on voit bien que l'aide au Sud reste presqu'insignifiante. Mais le Nord réalise enfin que son "avenir se joue au Sud", que toutes les actions autour de la Méditerranée ne peuvent s'inscrire que dans une logique de développement durable, à commencer par une perception nouvelle des flux migratoires, des IDE, de protection de l'écosystème, d'accès à l'eau et de nouvelles technologies au service de l'Environnement. Dans cette logique des choses, la Tunisie a été parmi les premiers pays à adhérer à cette vision, à la conforter, et le discours du Chef de l'Etat a été clair, cohérent, pointu: les enjeux du développement autour de la Méditerranée priment. Et les suggestions formulées sont non seulement institutionnelles mais elles sont surtout avant-gardistes. C'est la voix de la Tunisie. La voix de Carthage. De celle qui a le mieux intégré la dimension de la Mare Nostrum. De celle qui a failli être il y a près de 3000 ans, capitale de la Méditerranée. Cela dit, le chemin est encore long. Il s'agit bien de développement durable et non pas de bousculer les solutions (hâtives) entre Palestiniens et Israéliens, entre Syriens et Libanais etc… Bernard Kouchner reconnaît que ce ne sera pas facile. Que vaudra une Union pour la Méditerranée si le peuple palestinien continue de croupir dans des conditions inhumaines sous le joug du colonialisme sionisme? Peut-on aussi facilement abdiquer face au fait accompli sioniste ? Et ce n'est pas le seul nœud gordien.