Patrimoine et mondialisation ne font pas bon ménage. Les deux termes sont diamétralement opposés. Si le premier désigne l'originalité, le second désigne l'uniformisation. Le patrimoine est plutôt relatif à chaque pays, donc spécifique à chaque groupe ou à chaque nation alors que la mondialisation s'applique sur tout le globe terrestre, toutes populations confondues, abstraction faite des différences et des particularités propres à chaque communauté prise à part. De ce fait la mondialisation se considère comme un intrus qui s'introduit dans la vie des différents peuples jusque-là distingués par leurs traditions, langues, musiques, danses, genres de vie, bref par leur identité, leur géographie et leur histoire. Toutes ces manifestations culturelles et populaires ancrées et transmises de génération en génération depuis de longues dates se voient aujourd'hui menacées par cette mondialisation qui avance à pas de géant en prétendant à un seul et unique modèle culturel qui s'étend à toutes les populations du monde. Vue sous cet angle, cette mondialisation constitue une grande menace pour les différentes cultures et traditions autochtones propres à chaque pays ou groupes de pays, et de ce fait, certains penseurs la considèrent comme une tentative de déculturation des peuples et une manœuvre visant à démanteler toutes les valeurs authentiques au sein de chaque communauté pour les remplacer par d'autres valeurs qui soient communes sur toute la planète et qui doivent s'accommoder avec la vision hégémoniste des Américains exerçant actuellement leur suprématie militaire, économique, culturelle et politique sur le monde entier. Vouloir uniformiser le monde serait à mon avis peine perdue, car on ne peut imaginer le monde culturellement que dans la diversité et l'hétérogénéité. D'ailleurs, cette manœuvre d'uniformisation du monde ne saurait laisser indifférentes les nations menacées dans leurs cultures et leurs traditions qui datent depuis des siècles. L'homogénéisation du monde, appelée et non sans ironie par certains détracteurs la « macdonaldisation », allusion faite à McDonald, pourrait pousser ces peuples au renforcement de leurs propres identités et peut-être au sectarisme et à l'intolérance en vue de sauvegarder leur patrimoine culturel. Quoique le concept de mondialisation soit relativement nouveau, il commence à s'imposer progressivement aux esprits depuis quelques années. Il faut dire que cette prétendue mondialisation a été déjà préparée depuis longtemps grâce aux moyens de communications modernes qui font circuler partout dans le monde en voie de développement le genre de vie des Américains et de l'Occident en général et essayent de l'imposer sur les peuples, qu'ils soient en Afrique ou en Asie où l'on assiste à une véritable invasion culturelle occidentale dans tous les domaines (goûts, loisirs, styles...) de telle sorte que les habitants de ces continents, éblouis par le train de vie américain et d'autres pays développés, essentiellement à travers la publicité et les mass médias, occupent leurs loisirs aujourd'hui de la même façon que les jeunes américains ou européens ! De cette façon, ces jeunes sont de moins en moins attachés à leurs racines et leurs traditions qui risquent de disparaître un jour ou l'autre pour laisser le terrain à de nouvelles pratiques étrangères imposées par la mondialisation qui finira un jour par reléguer définitivement dans l'ombre tous les patrimoines nationaux (traditions, rites, folklore, fêtes, croyances...) et mettre en place une « culture » uniformisée à l'américaine ou à l'européenne ! Pour atteindre leur but, les Américains et leurs alliés européens ont recours essentiellement à l'image et au son : il suffit de voir la quantité des films et des feuilletons télévisés qui envahissent chaque jour les chaînes de télévision dans le monde entier et les différents genres de musique américaine et européenne lancés partout sur le marché mondial qui séduisent des millions de jeunes des quatre coins du monde. Imposer un modèle universel à l'échelle humanitaire pourrait avoir des effets néfastes sur toutes les cultures et les traditions régionales spécifiques aux pays dits moins développés. La mondialisation ainsi conçue est une arme redoutable entre les mains d'une poignée de compagnies multinationales de quelques pays riches qui monopolisent les domaines vitaux et qui font de toute chose une marchandise. En éducation, ils ont la main mise sur les éditions scolaires et les logiciels éducatifs et souvent ils imposent leurs programmes éducatifs sur les nations. Ils dominent aussi la production et la distribution de l'information à travers la presse, les chaînes de TV et Internet. Ils détiennent également la part du lion dans la production et la diffusion des productions culturelles (livres, films, musique...). Tout cela vise à l'effacement total de l'authenticité et de la singularité culturelle propres à chaque communauté pour enfin mettre en valeur une seule culture universelle imposée sur l'humanité entière. Cette démarche hégémoniste qui agit en premier lieu sur le culturel, tend en réalité à une finalité mercantile. En effet, en introduisant de nouvelles traditions et de nouveaux comportements chez les jeunes à coups de publicité tous azimuts, on passe au second stade qui consiste à écouler sa marchandise chez ces mêmes jeunes du monde déjà préparés à la consommation abusive des produits « culturels » fournis au nom de la mondialisation ! Arrivé à ce stade, on finit par perdre toute notion de patrimoine national et la culture devient ainsi un simple produit de consommation sans aucune valeur. En Tunisie, nous sommes concernés par cette mondialisation comme tout le monde. Nous avons un patrimoine culturel très riche. Aussi faut-il le protéger contre toute menace d'effritement ou de disparition. Notre pays a connu beaucoup de civilisations à travers l'histoire, ce qui a permis l'ouverture sur différentes cultures et traditions, d'où le fait de jouir actuellement d'un patrimoine culturel très riche dans tous les domaines (famille, cuisine, santé, travail, habillement, artisanat, rapports humains) qu'il faut absolument respecter, consolider et prémunir contre toute tentative d'assimilation ou de substitution. Ce mois consacré au patrimoine (18 avril/18 mai 2008) qui coïncide avec le dialogue engagé avec les jeunes de Tunisie, pourrait être l'occasion de soulever toutes les questions relatives à notre patrimoine culturel avec les jeunes et les sensibiliser à l'importance de cet héritage aussi bien riche que varié et à la nécessité d'enrichir davantage ce patrimoine qui constitue un facteur primordial de notre identité et notre spécificité. Nous sommes pour l'émergence d'une conscience planétaire sur les grands problèmes qui préoccupent l'humanité et qui sont si nombreux (environnement, santé, pauvreté, chômage, analphabétisme, guerres...). Nous sommes aussi pour le progrès et l'espoir de vivre dans de meilleures conditions, mais dans le respect de l'autre et de ses propres valeurs. Etre citoyen du monde ? Oui, pourquoi pas ! Le Tunisien a toujours été et restera ouvert à toutes les cultures du monde, sans pour autant se soustraire à sa citoyenneté tunisienne, seule garantie de sa personnalité et de son originalité.