En ces temps d'Aïd El Idh'ha : l'Aïd El Kbir, la Fête, la Cérémonie du monde musulman, nous avons souhaité essayer de montrer à quel point le bélier est un animal emblématique des peuples méditerranéens, depuis l'aube de l'Histoire. Le nom « bélier » semble avoir été dérivé du Flamand : « Belhamel » qui signifie « mouton à la sonnette » ou « à la clochette », alors que « mouton » viendrait du bas latin : « multo » mais le nom de la constellation du Bélier et donc celui du signe zodiacal du bélier dériverait du latin : « Aries ». C'est le premier signe du zodiaque dans lequel entre le Soleil lors de l'équinoxe de printemps, le 21 mars. Et déjà, nous touchons à l'irrationnel, au domaine des croyances : le zodiaque. On y croit ou non, aujourd'hui. Sans doute beaucoup plus qu'on ose (se) l'avouer ! Mais, il est indéniable qu'il avait une énorme importance et une immense influence sur la vie des gens dans l'Antiquité. Le mouton est le descendant domestique du mouflon qui existe encore à l'état sauvage en Sardaigne et en Corse. Une espèce présaharienne : le mouflon à manchette hante actuellement les Jebel du Sud tunisien. Le mouton a été domestiqué très tôt, au néolithique, tout de suite après le chien, certainement d'abord au Moyen-Orient, il y a environ 10.000 ans. Certains historiens disent qu'il aurait accompagné, comme l'olivier sauvage, les hommes, les proto-méditerranéens qui seraient venus peupler l'Afrique du Nord. En effet, très tôt, au Sahara et en Algérie, il est représenté sur des peintures et des gravures rupestres. A Iheren en Tassili n'Ajjer, un chasseur pasteur est peint en compagnie d'un mouton de l'espèce « Ovis longipes », la même que celle des moutons touaregs et maliens actuels.
La déification Diverses gravures, en particulier celles de Bou Alem, de Guelmouz El Abiad, représentent des béliers « coiffés » d'un disque ou d'un « sphéroïde » orné de « plumes » ou de « rameaux ». Ces gravures appartiennent à une période ancienne du néolithique, largement antérieure aux figurations égyptiennes issues de la fusion du dieu bélier et d'Amon-Rê : Le Soleil. L'analyse de ces gravures ne permet pas d'affirmer que ces animaux étaient des divinités. Dans la plupart des cas, ces ovins semblent être derrière un homme en position de prière qui leur tourne le dos. On peut donc penser que le bélier, paré d'une coiffure majestueuse, est l'offrande destinée à une divinité. C'est d'ailleurs le rôle qu'il joue depuis des millénaires, dans les rituels des peuples d'origine sémite. Ensuite le mouton est représenté sur un « étendard » de la ville d'Our ou d'Ur située dans le Sud de la Mésopotamie, l'Irak actuel. Cette cité, pré-sumérienne, serait donc antérieure au IVème millénaire avant J.C. et sur son « étendard », conservé au British Museum de Londres, le mouton comme la chèvre et le cheval sont des animaux assez importants pour être « offerts » des personnages puissants « trônant » au registre supérieur. Il est tout de même curieux de constater que, comme certains historiens l'affirment, Abraham et sa tribu seraient originaires d'Ur. Ils l'auraient quittée pour se rendre dans le nord du pays où Abraham aurait reçu la révélation divine, avant d'aller s'installer en Palestine près d'Hébron. Abraham, le père d'Isaac et d'Ismaël, ancêtres respectifs des Juifs et des Arabes ! Il aurait vécu vers 1850 avant J.C. Mais bien avant lui, les Egyptiens avaient déïfié le mouton. Appelé « Ram » peut-être, sûrement « Hérishef » puis « Amon » quand il est apparemment devenu un mélange du dieu bélier et du dieu Amon-Rê : le Soleil. Cela se passait vers 2500 ans avant J.C. Certains prétendent que le mouton n'était pas très important pour les Egyptiens de l'Antiquité car il est peu représenté sur les peintures qu'ils ont laissées alors que les bovins et les oiseaux abondent. Pour avoir été « mêlé » au Soleil qui a été un des principaux dieux égyptiens - il a même failli être le seul sous le nom d'Aton ! - manifestement le bélier était important dans le panthéon égyptien. Un peu plus tard, vers 1900 avant J.C., les Hillites développent une civilisation originale en Anatolie centrale, l'actuelle Turquie, conquièrent la Syrie actuelle et entre en conflit avec l'Egypte. Le Grand Ramsès II les a battus. Dans leurs tombeaux, on a retrouvé de nombreux bijoux qui sont ornés de très belles têtes stylisées de moutons ou de mouflons diront les « grincheux ». A cette époque-là, dans cette région, les moutons devaient être encore très proches du type originel : le mouflon. Dans la Grèce antique, la « toison d'or » du bélier sacré, ailé, du roi de Colchide, était gardée par un dragon. Il avait été immolé à Zeus, le roi des dieux. La conquête de cette fabuleuse toison a inspiré bien des épopées. En Europe occidentale, l'Ordre de la toison d'or a été une décoration prestigieuse d'abord des ducs de Bourgogne puis de l'Empire d'Autriche de 1429 à 1918.
Le sacrifice Quelques années plus tard, la Bible nous apprend que le Dieu Unique, pour éprouver la foi d'Abraham, lui demanda de lui sacrifier son fils Isaac. Ce qui prouverait que ce sacrifice, qu'on retrouve à Carthage, existait chez les peuples sémites dont les Phéniciens font partie et qu'il ne concernait pas seulement les enfants mort-nés comme veulent le faire croire certains historiens actuels. Plusieurs édits impériaux romains interdisant le sacrifice d'enfants en Afrique romaine le prouvent aussi. Abraham, profondément croyant, malgré son désespoir, se met en devoir d'offrir son fils à Dieu qui arrête son bras et lui demande de sacrifier un bélier dont les cornes étaient prises dans des ronces. Il lui demande aussi de refaire ce sacrifice chaque année pour marquer l'anniversaire de son obéissance totale à Dieu. L'ex-Président Chirac a, un jour, déclaré que nous étions tous les fils d'Abraham. Avait-il conscience de la justesse de son propos pour tous les croyants en un Dieu Unique ? Mais il n'a sûrement pas pensé au fait que le mouton semble intimement mêlé à la célébration de la Fête principale de chacune des « religions du Livre ». Pour tous les musulmans, le sacrifice d'un mouton mâle, adulte, sans imperfection, rappelle indiscutablement le souvenir du sacrifice du Prophète Abraham. Pour les chrétiens, le mouton représente parfois le croyant que le Christ, « Le Bon Pasteur », protège avec amour, en particulier sur une gravure des catacombes de Sousse. Quelquefois, souvent même, l'agneau, plus que le mouton adulte, symbolise le Christ : « l'Agneau de Dieu » qui a accepté de mourir sur la croix pour racheter les pêchés du Monde. Nous retrouvons encore la notion de sacrifice ! Il est devenu traditionnel de consommer de la viande de mouton : « le gigot d'agneau » pascal à Pâques, l'anniversaire, pour les chrétiens, de la résurrection du Christ. C'est manifestement, la cérémonie religieuse la plus importante pour eux ! Pour les Juifs, la Paque commémore la sortie d'Egypte du peuple Hébreux. Les cérémonies religieuses se déroulent deux semaines après la nouvelle lune qui suit l'équinoxe de printemps, que nous avons déjà rencontré lors de la « marche » du soleil dans le Zodiaque. Dans l'Antiquité, un mouton, offert à Yahvé, était égorgé dans la cour du Temple de Jérusalem. L'autel était aspergé de son sang. Le sang de cet agneau servait aussi à marquer la porte de la maison en souvenir du passage de l'ange exterminateur qui avait fait mourir les enfants des Egyptiens punis par Dieu. Puis l'animal était grillé et consommé accompagné de pain azyme - sans levain - et d'herbes amères : persil et fenouil trempés dans de l'eau salée, parfois, manière de ne pas oublier les vexations de l'esclavage subi en Egypte. « Nous sommes tous les enfants d'Abraham » et le mouton demeure un de nos principaux compagnons de route. La langue arabe dispose d'une bonne vingtaine de mots pour désigner les différents aspects d'un ovin ! Nous avons écrit récemment qu'il avait existé, en Tunisie, une véritable civilisation de la laine liée au métier à tisser horizontal majoritairement manié par des femmes. Il en subsiste des vestiges dans le sud tunisien que nous ne voudrions pas voir disparaître. En Europe, jusqu'à une date récente, la fameuse « heure du berger » était celle des rendez-vous galants, à la tombée de la nuit ! La fable du « Loup et de l'Agneau » n'est-elle plus actuelle ? La raison du plus fort n'est-elle plus la meilleure ? Pourtant, paradoxalement, c'est le loup qui a été exterminé pour faire place à l'agneau ! Plus près de nous, en Tunisie, jusqu'à l'heure actuelle, le goût de la viande d'agneau est la référence suprême. Il est très difficile de trouver une nourriture « meilleure que ... la viande d'agneau de lait » : « khir min l'ham allouche h'lib » ! Que sont devenus tous les fiers béliers aux cornes vernies et à la toison blanche teintée de henné qui combattaient devant des amateurs enthousiastes ? Encore une spécificité qui faisait le charme de la Tunisie et qui a disparu ? Si le mouton est devenu le symbole de la non-belligérance : « doux comme un agneau ». Ne pourrait-on pas souhaiter que les « enfants d'Abraham », les pasteurs du mouton connaissent enfin, un jour prochain, la Paix ?