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Nadia Chaabane: Chronique d'une constituante 2011 - 2014
Publié dans Leaders le 05 - 01 - 2018

Constituante atypique à plus d'un titre, Nadia Chaabane est très attendue sur son témoignage des trois années passées à l'ANC, sous la coupole du Bardo, de 2011 à 2014, et de batailles acharnées qu'elle y avait subies et celles menées. Sa «Chronique d'une constituante», qui paraîtra aux éditions Déméter, ce 26 janvier 2018, date anniversaire de la nouvelle constitution, apportera un éclairage significatif sur cette période des plus intéressantes ces dernières années. Battante, Nadia a toujours eu un souffle haletant, un verbe haut et une plume ferme. Avec le recul du temps, on s'aperçoit de l'abîme dans lequel la Tunisie avait failli basculer. La vigilance continue assurée par le groupe des Démocrates, laïques et modernistes, la pression constante exercée et la forte mobilisation conduite dans les médias et la rue pour contrer les projets obscurantistes relèvent aux yeux de nombreux Tunisiens de l'héroïsme. Le récit de Nadia Chaabane nous le rappelle.
Cette femme originaire du Cap Bon a trouvé à Paris l'espace qui lui était vital pour militer au sein de la gauche tunisienne en exil, exercer courageusement son opposition au régime de Ben Ali, lutter férocement contre le racisme et pour l'égalité des droits et la justice sociale. Elue d'Al Massar à l'Assemblée nationale constituante pour la circonscription de France 1, ce docteur en sciences du langage et militante invétérée sera l'une des icônes au Bardo. Sa voix retentira sans cesse sous la coupole, comme dans les salles de commissions et les réunions de négociations.
C'est ce qui donne un relief tout à fait particulier à sa «Chronique». «Quand le texte de cet ouvrage m'a été proposé à l'édition, souligne son éditeur Moncef Guellaty, et malgré le fait qu'il résulte d'une expérience partisane, j'ai eu un vrai intérêt à entrer dans les coulisses, à savoir comment les négociations, les pressions et les arbitrages ont abouti à l'adoption de la constitution de notre deuxième République. J'ai également pensé au devoir de mémoire vis-à-vis des générations futures (...). Engagée, membre d'un parti, son texte offre un point de vue personnel par rapport à une histoire collective. Il participe à notre information, et servira à nos historiens.».
Tunisie, deuxième République
Chronique d'une Constituante 201 - 2014
De Nadia Chaabane
Déméter Editions, 2018
Bonnes feuilles
L'image de l'Iran... et de l'Algérie
(…) J'étais élue et j'allais vivre une expérience unique, celle de “fonder” un nouveau pacte, réfléchir le devenir de mon pays. Des concitoyens m'ont fait confiance pour les représenter. Grande responsabilité mais aussi de la fierté. Pour une majorité, ils ont déposé leur bulletin dans l'urne pour la première fois, il y avait 47 listes et 235 candidats pour cinq places et c'est la nôtre qu'ils ont choisie. Nous avions subi une campagne de dénigrement et de diffamation, nous avons été malmenés sur les réseaux sociaux et sur les plateaux, traités de mécréants, et pourtant nous voici élus. Des électeurs ont eu confiance en nous. Etre à la hauteur de cette confiance n'est pas chose aisée. Cette responsabilité était d'autant plus grande et plus lourde que nous étions minoritaires et que les islamistes avaient gagné les élections.
J'étais consciente de la faiblesse des forces progressistes dans la future Assemblée et l'image que j'avais de l'Iran était présente, comme l'était celle de la guerre civile en Algérie. Pour moi, ce n'étaient pas des contrées lointaines. Une partie de mes amis à Paris venaient de ces deux pays. Réfugiés en France, car traqués dans leur propre pays par les islamistes et les obscurantistes. Ils sont marqués dans leur corps et dans leur cœur. Ma joie était entachée par cette noirceur, que je craignais plus que tout car j'en connaissais la face hideuse, la face destructrice. Je connaissais leur haine des femmes, j'en ai vu les stigmates sur les corps, leur haine des libertés, j'ai vu des amis pleurer leurs camarades assassinés, leurs femmes violées ou voilées par la force, j'ai vu des familles déchirées, des enfants s'entre-tuer. Mes concitoyens m'ont fait confiance et m'ont élue pour les défendre et défendre le modèle de société auquel ils croient. J'incarnais leurs espoirs et il me fallait être à la hauteur de cette responsabilité. A partir de ce moment-là, j'ai senti que ma vie ne m'appartenait plus. Elle était intimement liée à celle de mon pays. Je me devais de préserver la terre de mes ancêtres de toute noirceur et de tout basculement dans une histoire qui ne soit pas la nôtre. (P.16)
Un discours mystico-religieux
(…) Cela fait deux heures que je suis là, mon unique souhait est que le bon sens l'emporte et que le cynisme et la soif du pouvoir ne submergent pas cet espace et ne confisquent pas la parole à une population qui jusque-là n'a pas pu exprimer sa joie. La séance a repris avec une allocution du président de séance. On a eu droit à un discours mystico-religieux dans lequel il a cité pas moins d'une dizaine de versets, un discours truffé de références religieuses, il y a même évoqué le diable et, pour finir, condamné les agissements de la société civile. Des propos hors sujet n'ayant rien à voir avec le discours introductif d'une Assemblée constituante.
Des propos qui ont soulevé un tollé de contestation et une invitation à quitter la présidence de l'Assemblée alors qu'on a opté pour le plus âgé des élus - c'est l'usage - pour présider la séance d'ouverture en raison de sa supposée sagesse et pour qu'il soit diplomate et médiateur. Ce préjugé souvent colporté à propos des aînés s'est encore une fois révélé abusif, et ce sont les plus jeunes dans l'Assemblée qui se sont indignés. Ce monsieur formaté à la pensée unique a, du haut de sa tribune, reproduit ce qu'il a toujours vu faire, imposer son point de vue à tous, oubliant qu'il était dans la posture du médiateur, du facilitateur. De fait, il a même ignoré la possibilité d'en être un. “Aam Tahar”, comme les jeunes l'ont baptisé, a incarné par sa posture l'impossible mutation pour certains. (P. 20)
Comme sur les bancs d'une université d'études théologiques
Par moments, lors de discussions dans les commissions constitutionnelles, j'avais l'impression que j'étais sur les bancs d'une université d'études théologiques, je prenais alors mon mal en patience. Je me contentais d'argumenter rationnellement sans jamais rentrer dans cette autre logique dans laquelle ils tentaient de nous enfermer.
J'étais convaincue de la perte de temps qu'on subissait mais je n'avais pas le pouvoir de changer les choses. Une fois la page de la charia tournée , d'autres thématiques puisant toujours dans les référentiels religieux ont été débattues. Ils ne pouvaient concevoir l'alternative et les avancées en dehors du cadre de référence islamique, alors même que ce cadre était complètement absent de leur programme électoral.
Nous avons eu ainsi droit à la proposition d'une caisse pour récupérer la zakat remise pour l'occasion à l'ordre du jour et d'autres propositions, notamment pour ressusciter les Awqaf, pour un conseil supérieur de la fatwa..., toute une panoplie de réformes qui ne feraient que changer le rapport à l'Etat et au droit positif. (P. 41)
Dans une souricière
(…) Depuis le 22 novembre, date du démarrage de l'ANC, le sentiment d'être dans une souricière ne m'a jamais quittée. A chaque fois que quelqu'un me posait la question : “Comment tu vis l'ANC ?”, ça a été ma réponse. Oui, une souricière, car on n'a qu'une seule voie, celle de trouver la sortie ensemble.
En cette période, dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle est implosive et tendue, la surenchère, les appels à la démission et à la dissolution de l'ANC apparaissent comme de la gesticulation. Nous vivons un moment crucial de notre histoire, chacun de nous est amené à prendre une décision en son âme et conscience. L'envie de lever l'ancre et de larguer les amarres ailleurs m'a tentée mille et une fois, franchir le portail de l'ANC a été parfois un vrai supplice, entendre ou lire des propos inaudibles et abjects a été parfois une torture…et pourtant…tous les matins j'ai trouvé la force de continuer, car je n'avais qu'une obsession : LE PAYS. Ce que j'ai en mémoire à chaque fois que l'envie de quitter l'ANC m'effleure, c'est le scénario algérien. J'ai beaucoup d'amis algériens et tous sont d'accord sur une seule chose : la dissolution leur a été fatale et jusqu'à aujourd'hui, ils n'ont pas réussi à s'en remettre.
Nous sommes face à un contexte de mondialisation et de chamboulement dans le monde qui ne peuvent pas ne pas avoir de prise sur notre manière de raisonner. Les expériences vécues par d'autres sociétés nous sont accessibles et doivent nous amener à en tirer des conclusions et à en retenir des leçons tout en sachant que chaque société présente des particularismes dus à son histoire. La Tunisie ne sera pas une seconde Algérie, ni un second Iran, ou toute autre dictature…(P. 184)
C'est parce que le pluralisme est réel que le projet d'Ennahdha a avorté
La question identitaire, imposée dans le débat par Ennahdha de manière complètement démagogique et machiavélique, a empêché l'émergence d'autres débats à mon sens plus constructifs et plus intéressants pour notre société. Ils nous auraient amenés à assumer notre pluralisme sans complexe.
La Tunisie est multiple et plurielle. Une partie de la population l'ignore ou n'en a pas conscience, et les islamistes ont tenté par tous les moyens de nous le faire oublier. Ce débat n'a pas pu avoir lieu, il a été étouffé par des voix ignorantes et sans ambition pour le pays. Des voix qui ont failli semer la discorde. C'est parce que le pluralisme est réel que le projet d'Ennahdha a avorté. Il a buté sur cette histoire de la Tunisie et ce brassage non assumé.
Le débat a eu lieu de manière assez marginale sur la question de la protection des minorités, mais il n'a pas été suffisamment assumé par les démocrates qui n'en ont pas fait un objet de clivage.
Les leaders tunisiens qui pouvaient influer sur le cours de l'histoire ne l'ont pas vu comme un enjeu majeur non plus. Ils se sont contentés de formulations plus globales. Cependant, l'omniprésence des renvois vers la culture arabo-musulmane dans la Constitution contribue à la discrimination de ceux qui ne sont pas arabes et/ou musulmans. On s'est retrouvés dans l'incapacité de pointer les travers de la société tunisienne pour sceller un premier acte dans la lutte contre les discriminations et envoyer un premier message. (P 324)
La frustration d'un travail inachevé
Je crois beaucoup dans les lois volontaristes pour faire évoluer les choses, mon expérience en tant que féministe me l'a démontré tous les jours, attendre qu'une société évolue pour impulser du changement est un souhait, mais dans la réalité cela se passe rarement ainsi.
J'ai senti cette frustration du travail inachevé le lendemain du vote de la Constitution. Le jour même, j'étais dans l'euphorie d'un objectif atteint, d'un exploit inespéré car chèrement payé. Est-ce qu'on pouvait faire mieux, seuls les historiens pourront le dire plus tard. Ils auront le recul et pourront compiler toute cette histoire et la faire parler. Pour ma part, je pense que oui, pour les discriminations qui perdurent et, je pense que cet abandon repose sur les épaules de l'élite politique qui a participé au dialogue national et qui, pour partie, n'avait pas l'ambition d'éradiquer les discriminations dans notre pays. Elle-même n'était pas réellement porteuse de la rupture tant attendue.
(P 327).


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