Par Brahim KAROUI Ce dernier 14 janvier, date historique qui représente les espérances trompées des Tunisiens, n'a pas pu nous réconcilier avec les charmes de la nostalgie révolutionnaire. Cette révolution n'accouche de rien, dit-on de toutes parts. Les «réactionnaires» agissent dans l'ombre, se disent démocrates, libertaires, mais la liberté n'est pas une acquisition de circonstance, achetée dans une galerie marchande qui suinte la spéculation. Jamais une œuvre humaine aussi chère n'a coûté peu de frais. Les discours changent, mais les hommes ne ressentent pas le besoin de transformer leur esprit, leur conviction, leur habitude, leur perception de la vie. La voix de la liberté est enfumée de quelques assassinats, de beaucoup de lâcheté, de raisonnements logomachiques; elle ressemble à un marécage bourbeux. Les habitudes ont été corrompues dans plusieurs domaines jusqu'au vol prémédité des effets des passagers à l'aéroport de Carthage. De petites bandes se constituent pour saborder tout changement, toute poussée vers le mieux et le bien. Des délits nombreux courent les lieux et se pratiquent toujours à visages découverts pour de petits et bas intérêts. Quand la sincérité manque dans le cœur, la liberté boite. Quant le vice domine et reste impuni, cette liberté demeure suspecte, parce que de telles abominables pratiques montrent que le banditisme n'est pas seulement un vice néfaste, mais encore une affirmation avouée du pouvoir mafieux des spoliateurs. Dans une ère traversée par un vent de liberté, la vie doit être plus chère que l'argent, les valeurs respectées plus en mesure de faire adhérer que les tortures de l'esprit en quête d'argent sale. La liberté ainsi n'est pas sortie victorieuse à cause du défaut de sa conscience chez ces malfrats. La liberté est la liberté de l'esprit, de la foi, des opinions, assumée et défendue non pas seulement pour soi, mais aussi pour autrui. Si donc un acte cause le chagrin, la déception de l'autre, il est délibérément conduit sous la direction de la ruse qui, appliquée dans le travail, nuit à une tierce personne, et établit le mal. Ce n'est pas général : mais il faut frapper pour redresser et corriger les consciences malades. La liberté disparaît sous le vice qui ravage et qui bénéficie du silence lâche des témoins sans pouvoir. Depuis 2011, il y avait un vide, puis des élections, des gouvernements successifs et provisoires coupés de meurtres et d'échecs sur tous les plans. Le gouvernement actuel s'installe avec difficulté, peine, dès le départ, à se faire approuver. En fait, les attentas sur l'un des organes symboliques de la liberté, la presse, en France, annoncent une année sombre et tragique. Charlie Hebdo fut victime d'un massacre abominable qui lui enleva presque la totalité des membres de sa rédaction. Dans le tintamarre bruyant et intoxiqué de guerre dirigée par Daech, des mercenaires jihadistes basés en Irak et doublés de milices en Syrie, au Yémen, en Libye, et d'assassins en Tunisie, qui fut un pays de paix et de joie, mettent une partie de l'Orient à feu et à sang, en défendant une cause perdue et lâche, en tuant des innocents et en portant leurs mains criminelles jusqu'aux monuments de notre patrimoine culturel en Irak. Le crime médité et exercé avec impassibilité par des jeunes que la mort n'effraie pas et le sang qu'ils font couler ne dissuade pas, est à l'œuvre à Tunis, le 18 mars dernier. Le musée du Bardo fut la cible historique d'un tragique attentat qui coûte très cher à un pays en construction. C'est une vingtaine de morts, tous venant en ce temps et lieu pour voir des mosaïques romaines témoignant de notre civilisation marquée par le passage des grandes civilisations, Rome et Carthage. C'est aussi le douloureux moment qui présage une nouvelle crise sociale, économique et morale. Si le tourisme est visé, il est établi que le terrorisme entraverait la reprise de la croissance, ou le redémarrage du secteur touristique qualifié par les spécialistes comme incertain et flou en ces dernières années. S'il est touché ainsi, c'est notre économie accablée sous l'effet des dettes de l'Etat, et de la frilosité des investisseurs, qui en subira nettement les conséquences. Sur ces entrefaites, la réponse scandée du gouvernement et des chefs de partis compose avec leur intérêt immédiat, le retour de l'ordre, soit-il précaire, et cela se doit au moyen d'une répression sans merci contre les éventuels auteurs du crime. Tant que le crime sévit et plonge le pays dans un deuil sans fin, il ne sera pas définitivement déraciné. Tant il est vrai que la Tunisie est fragilisée par le marasme financier dû en effet à l'absence de l'Etat dans les secteurs de l'économie les plus rentables, et son rôle de garant de postes et de significations administratives ombiliquées et coûteuses, conjoncture sévère doublée par l'éclatement du tissu politique, si décousu et donnant dès le départ à voir les signes avant-coureurs de l'usure. Cette lutte contre le terrorisme qui fait saigner le ministère de l'Intérieur et l'armée, s'avère des plus dures en ce moment précis. Quand un auteur s'autolicencie et ne va pas jusqu'au bout de son raisonnement, il y a un malaise, il y a qu'il ne se sent pas protégé. On a trop parlé de la liberté de penser en Tunisie que ce mot ne revêt qu'à un slogan amer. Cette liberté est gênante, est acquise sans lutte, est donnée comme une prime gonflée à l'œuvre révolutionnaire de notre peuple qui a chassé le dictateur qui l'avait terrifié et muselé. L'histoire est succincte, les changements sont à faire, les difficultés découragent si fort les caractères trempés de volonté et d'audace pour qu'un changement profitable puisse se fonder et augurer des situations meilleures. Cette guerre contre le terrorisme, le prisme fallacieux des âmes perdues et malades en quête d'une spiritualité fourvoyée dans le massacre et le crime; cette guerre, dis-je, paraît ambiguë. Une juridiction n'a pas encore vu le jour, et on nous fait remarquer que les tergiversations risqueront de repousser à bien loin sa mise à effet. Jusqu'à cette date indéterminée, la politique payera les frais du laxisme, et de l'omerta si observée dans les milieux proches de la contrebande et des fiefs du terrorisme. Si le silence dure encore, en traînant des paroles et des déterminations ardentes, cela suffira-t-il pour une lutte efficace ? Mais en attendant, le gouvernement actuel, blessé depuis son arrivée, sera-t-il cicatrisé avec le temps qui coule, d'autant que les contraintes économiques paraissent en ce moment ardues ? L'histoire des grandes nations l'a prouvé : toutes les ténèbres avaient été dissipées quand le sentiment de l'amour et du sacrifice patriotique avait pénétré les cœurs. Sachant que les plus probes payent de leurs peaux, combien de Marat, recensés par l'Histoire pour avoir voulu et défendu la justice humaine, auront en Tunisie le même sort ?