Par Pr Amor Cherni Le terrorisme a sévi, malheureusement, encore une fois dans notre pays. Il a visé le musée du Bardo, l'un de nos monuments culturels et lieu de mémoire de notre civilisation. Cette lâche attaque a coûté la vie à une vingtaine de touristes et à des Tunisiens dont l'agent de sécurité Aymen Morjane. Les blessées, quant à eux, se comptent par dizaines. Il s'agit donc d'un vrai carnage aussi absurde que tragique et qui est d'autant plus douloureux qu'il a frappé des étrangers, hôtes de notre pays, et a été exécuté par de jeunes Tunisiens sortis de nos établissements scolaires. Autant dire que nous n'avons à en vouloir qu'à nous-mêmes, à notre société, à nos valeurs et à notre système d'enseignement qui sont à revoir de fond en comble. Jadis, la Tunisie était un modèle, un pays paisible, accueillant, pétillant de vitalité et d'intelligence; — un pays sur lequel trônait une université parmi les meilleures de la Méditerranée, dotée d'un système d'enseignement moderne et efficace, qui a pourvu le pays de bons cadres et qui en a même exporté à l'étranger, vers des pays frères comme la Mauritanie ou l'Algérie, vers les organisations internationales, les universités étrangères et les centres de recherche de renommée. Il fut un temps où la Tunisie exportait des savants, des philosophes, des médecins, des ingénieurs et des techniciens lesquels, de retour dans leur pays, lui apportaient encore plus de savoir et de savoir-faire. Aujourd'hui, elle exporte les apprentis-terroristes qui vont apprendre la mort aux dépens des peuples frères du Moyen-Orient et nous en ramener leur «expérience» et leur «savoir-faire» en matière de meurtre ! Que s'est-il passé entre-temps ? Tous les Tunisiens le savent : des dizaines d'années de dictature, d'injustice, de pillage des richesses nationales, d'obscurantisme et une Révolution dévoyée de ses objectifs, parce que manquant de direction révolutionnaire ! Pis encore, la révolution a été retournée et instrumentalisée contre ses propres valeurs et ses propres objectifs. Au lieu de nous apporter plus de justice, plus d'égalité, plus de lumières et de prospérité, elle nous a apporté la hausse vertigineuse des prix, la contrebande, la corruption, l'obscurantisme et, pire que tout, le terrorisme. Grande est la responsabilité historique des gouvernements qui l'ont suivie et qui, au lieu de redresser le pays et de le remettre au travail, l'ont au contraire enfoncé dans le marasme, le chaos et le désespoir. On ne reviendra pas ici sur les assassinats politiques, ni sur l'argent sale utilisé pour ruiner notre pays, ni sur celui qui a été pillé au nom des «compensations» honteuses d'un «militantisme» qui a été prompt à se vendre à vil prix, ni sur les alliances suspectes avec les camps de la réaction à l'intérieur et à l'extérieur, ni sur le silence complice et criminel à l'endroit des officines qui se sont spécialisées dans la culture de la haine et du fanatisme, parce que nous croyions que nous en étions sortis grâce aux dernières élections. Mais que nous ont apporté ces dernières ? Passons sur les atermoiements et tergiversations dans la formation du gouvernement V1 et V2, passons sur les déchirements au grand jour du parti vainqueur, et arrêtons-nous sur les événements du Bardo. On est frappé sinon de stupeur, du moins d'étonnement, quand on voit une société faire face à l'assassinat de ses touristes, non par quelques symboliques «journées de deuil» et de recueillement, au moins pour respecter la douleur des familles endeuillées et de la patrie trahie et meurtrie, et en tirer les leçons, mais par des festivités et des «carnavals», et même des reportages de compétitions sportives sur la chaîne nationale, le lendemain même du drame ! Est-ce inconscience ou schizophrénie ? Faut-il choisir ente l'imbécillité et la pathologie ? Les pouvoirs publics actuels semblent être tentés par la fuite en avant, tentation qui n'est pas sans nous rappeler de tristes souvenirs du genre du «pays de la joie continue» (al-farah ad-dâ'im), du «miracle tunisien» et autres tissus de mensonges et de duperies qu'on jetait sur la réalité pour l'occulter et la présenter sous des couleurs trompeuses. Les manifestations et les discours triomphalistes de ces derniers jours, sont-ils l'expression d'une tentation du diable, d'un désir inconscient de retour en arrière, vers une époque où, à défaut de changer le réel, les Tunisiens étaient appelés à porter des lunettes qui devraient le leur faire voir autrement qu'il n'était ? Cette politique a eu son heure de gloire, celle où les Tunisiens, bâillonnés et opprimés, ont donné l'impression d'un peuple qui se laissait berner et mystifier. Or, a-t-on rapidement oublié que la révolution est venue énoncer l'éclatante vérité de ce gros mensonge, et balayer à jamais une époque qui, désormais, fait partie de notre passé, telle une page noire de notre histoire définitivement tournée. Aujourd'hui, les Tunisiens ne se paient plus de mots, ils ont appris à affronter la dure réalité de leur présent, ils exigent des actes et non des paroles, ils veulent construire de leurs mains leur propre histoire. Malheureusement, le pouvoir politique ne semble pas être disposé à entendre ce langage. Un seul indice le prouve : parmi les dernières «décisions» arrêtées lors de la réunion commune du Conseil de sécurité nationale et de celui des trois armées, la «participation des citoyens» à la défense du pays vient en dernier lieu... Comme si, en matière de sécurité nationale, les citoyens étaient les derniers concernés !