Rafik Bouchleka recherché pour formation d'un réseau terroriste et complot contre la sûreté de l'Etat    Maladies cardiaques : Le CHU de la Rabta redonne espoir à 70 enfants    Tunisie – Date du début de la campagne de vaccination contre la grippe    Amendement de la loi électorale, Brahim Bouderbala, manifestation… Les 5 infos de la journée    Que s'est-il passé dans la banlieue sud de Beyrouth et quel est le sort de Nasrallah ?    Tunisie – Vaste coup de filet dans les milieux intégristes    Emmanuel Macron en visite au Maroc en octobre sur invitation du roi Mohammed VI    Tunisie – 12% des écoles primaires ne sont pas desservies en eau potable    Supercoupe d'Afrique : vainqueur aux tirs au but, le Zamalek remporte sa 5e couronne (vidéos)    L'industrie plastique en Tunisie : un secteur en plein essor    L'oeil des Américains voit tout : la Chine tente de fabriquer un sous-marin à propulsion nucléaire, c'est le drame    Séance plénière sur l'amendement de la loi électorale: Ce qui a été décidé par l'ARP [Vidéo]    Après 14 ans d'absence, Le prince du Raï Faudel revient en Tunisie    Météo - Tunisie : orages et pluies samedi 28 septembre    « Run In Carthage » 8 : Sous le signe de la bonne humeur    Le Danemark rejoint le soutien au plan d'autonomie du Sahara occidental    Plusieurs activités de sensibilisation à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre la rage    Menace d'annulation pour la Coupe du Monde des Clubs 2025    Maggie Smith, actrice inoubliable d'Harry Potter n'est plus    Où se déroule le match de la Tunisie face aux Comores ?    Tunisie - Etats-Unis : Les énergies renouvelables et l'économie numérique au cœur des nouvelles alliances    Cycle 'Le cinéma d'animation en Tunisie' proposé par la cinémathèque Tunisienne    Le tout nouveau Fiat Doblò désormais disponible chez Italcar    Le chef de l'Etat reçoit le gouverneur de la banque centrale : « Non aux financements étrangers douteux »    Réserves en devises de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) au 26 Septembre 2024    Lors d'une cérémonie au palais de Carthage : Le Chef de l'Etat reçoit les lettres de créance de deux nouveaux ambassadeurs    Une initiative pour un tourisme durable en Tunisie, lancement aujourd'hui du Projet TANIT    Météo en Tunisie : ciel nuageux, températures stationnaires    Korba : Deux hommes secourus après une chute dans un trou    Plus nombreuses que les hommes: Plus de 13 000 femmes médecins en Tunisie    Italie – Championnat du Monde de couscous 2024 : La Tunisie part à la conquête d'un sixième sacre à San Vito Lo Capo    Soutien des projets de décarbonation : Le rôle crucial des institutions financières    STAM: Acquisition de trois chariots élévateurs pour améliorer le rendement dans les ports    « Nous sommes le Watad et non la gauche », la déclaration qui fait rire les internautes    George Sebastian : Hommage au prince de Hammamet    Résidence de France en Tunisie «Dar Al Kamila» : Un lieu riche en histoire    ESQUISSE | Monique, une autre foi, une autre sainte    Sur quelles chaînes suivre les matchs de la troisième journée de Ligue 1 ?    "Au Fil de la Mémoire" : Une exposition exceptionnelle pour célébrer l'art de la tapisserie de Gafsa    Ambassadrice de Pologne en Tunisie : ''En 2023 notre taux de chômage, est l'un des plus bas de l'Union européenne''    DECES : Hadia MZOUGHI    L'Algérie impose le visa aux marocains    US Monastir vs Etoile du Sahel : où regarder le match de ligue 1 du jeudi 26 septembre 2024?    Premier pays arabe bénéficiant d'une exemption de visa pour les Etats-Unis    Conseil de la Ligue arabe au niveau des ministres des Affaires étrangères : La Tunisie réaffirme sa position constante en faveur des causes arabes    Le retour du CA se précise : Ça reprend !    ESS : Une belle carte à jouer !    Assemblée générale de l'ONU : La Tunisie défend les droits des Palestiniens et condamne les agressions au Liban    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Les révolutions ne se jouent jamais en un seul acte !
Bonnes Feuilles
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 01 - 2000


Par Aziz KRICHEN
On apprenait autrefois, à l'époque de notre propre jeunesse, que le déclenchement puis le sort des révolutions dépendaient de la réunion de deux séries de conditions, les unes «objectives», les autres «subjectives». Les premières sont liées, pour l'essentiel, à l'action des forces sociales ; les secondes, principalement subordonnées aux prédispositions effectives des forces politiques existantes.
Ceux d'en bas ne voulaient plus vivre comme avant
Les conditions objectives se trouvent rassemblées quand « ceux d'en bas » (l'écrasante majorité de la population) ne veulent plus vivre comme avant, et que « ceux d'en-haut » (la minorité dominante) ne peuvent plus vivre comme avant. En d'autres termes, le point de rupture révolutionnaire est atteint lors de la rencontre entre deux conjonctures limites : au moment où la volonté populaire de changement devient si générale et si pressante qu'elle place le groupe dirigea nt devant l'impossibilité matérielle de continuer à gouverner comme il avait l'habitude de le faire.
En Tunisie, c'est très exactement ce qui s'est produit en ces semaines fatidiques allant du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. L'étincelle a jailli à Sidi Bouzid, dans les steppes du centre-ouest, à travers Mohamed Bouazizi, qui fit de son corps une torche vivante. A partir de là, le feu s'était vite propagé aux autres territoires marginalisés de l'intérieur, poussant des pointes par Le Kef et par Gafsa, en suivant le tracé des frontières avec l'Algérie. Fin décembre, l'incendie gagnait les villes du littoral, progressant comme les mâchoires d'une gigantesque tenaille depuis Bizerte, au nord, et Gabès, au sud. Les populations déshéritées des ceintures urbaines basculèrent en premier, bientôt suivies par la masse des travailleurs et des fonctionnaires, ensuite par les classes moyennes puis moyennes supérieures. La révolution n'était plus seulement populaire, elle devenait nationale. Le 12 janvier, Sfax tombait. Le 13, c'était au tour de Sousse et du Sahel. Le coup de grâce était imminent, inéluctable ; il fut porté le lendemain 14 janvier, avec le soulèvement victorieux de la capitale et de ses périphéries.
Les uns après les autres, sortis de toutes les régions du pays, issus de tous les milieux sociaux, emmenés par les nouvelles générations où les filles rivalisaient d'audace avec les garçons, les Tunisiens s'étaient relevés et luttaient pour leur affranchissement. Plus rien ni personne ne pouvait les arrêter. Pas même la mort des leurs, fauchés quotidiennement par les forces de sécurité, qui les galvanisait plutôt qu'elle ne les faisait hésiter. Après des décennies d'oppression, d'injustice, de misère et d'humiliation, ils se dressaient maintenant avec fierté, sans crainte, solidaires et compacts. Leur exigence unanime était à la fois simple et radicale : en finir avec le régime de Ben Ali. Longtemps désuni, le peuple s'était retrouvé et réconcilié avec lui-même. Il redevenait un corps agissant, le sujet direct de son propre destin. C'était définitif : « Ceux d'en bas ne voulaient plus vivre comme avant ! » Devant cette réalité abrupte, « ceux d'en-haut » ne pouvaient que prendre acte et s'incliner. La peur avait changé de camp.
Que firent-ils ? Ils firent ce que les cliques au pouvoir font presque toujours en pareil cas, de tout temps et en tout lieu. Ils s'employèrent à désamorcer la révolte en organisant, dans la panique et l'improvisation la plus extrême, une sorte de mini-coup d'Etat interne. Ils sacrifièrent les cibles les plus immédiates de la colère populaire — Ben Ali et la mafia des Trabelsi —, et engagèrent un ravalement de façade du système de gouvernement, en y incorporant un certain nombre de personnalités « indépendantes » et les figures de l'ancienne opposition qui voulurent bien se prêter au jeu. Tout cela dans le but de désorienter la rue, la démobiliser, reprendre l'initiative, et préserver ainsi les intérêts d'ensemble du groupe dirigeant.
Cette opération sauve-qui-peut s'effectua dans les heures qui précédèrent et suivirent l'exfiltration du dictateur déchu et de ses proches. Ici, il devient indispensable d'aborder la question des conditions subjectives de la révolution.
Les partis politiques aux abonnés absents
Nous avons mentionné qu'elles étaient tributaires des prédispositions effectives des forces politiques existantes. Qu'est-ce que cela signifie ? Simplement ceci : pour garantir la victoire définitive de l'insurrection, outre l'intervention décisive des forces sociales, il faut simultanément que se trouve réunie une deuxième série de conditions : l'implication de forces politiques qui soient en phase avec les nécessités du processus révolutionnaire.
Présentes parmi les secteurs sociaux les plus larges, ces forces doivent se montrer attentives à leurs besoins et à leurs revendications. Elles doivent être en mesure de traduire les aspirations de la population en un programme politique cohérent, incluant tous les domaines de la vie nationale : les libertés, la souveraineté, le fonctionnement de l'Etat, l'économie, les inégalités sociales et territoriales, l'éducation, la culture, la santé, etc. Ces forces doivent être capables d'encadrer et de diriger les masses — qui doivent se reconnaître en elles —, et être suffisamment habiles et expérimentées pour déjouer les contre-attaques inévitables de l'adversaire. Plus fondamentalement encore, leur leadership ne doit pas se limiter aux tâches « négatives » préliminaires de l'activité révolutionnaire — le renversement de l'ancien régime —, il doit aussi englober les tâches « positives » qui en découlent : l'édification du nouveau régime. Sans cette dernière aptitude, le soulèvement ne peut pas passer du stade de la rébellion, de la révolte, celui de la destruction de l'ordre ancien (« Ech-chaâb yourid iskat en-nidham ! »), à celui de la révolution proprement dite, qui ne devient effective que par la construction d'un ordre nouveau – ordre nouveau qui n'est pas un objet métaphysique insaisissable, qui n'est rien d'autre que l'aboutissement institutionnel des principales demandes de la société.
Considéré sous cet angle, le constat brutal que l'on est amené à poser est que de telles forces ont fait cruellement défaut au pays, non seulement avant le 14 janvier, mais également après. On devrait même ajouter, pour être clair, qu'on ne les voit pas se manifester avec évidence aujourd'hui encore, malgré l'extraordinaire prolifération des partis nouvellement créés – plus de 150 à l'heure actuelle.
L'une des plus remarquables particularités du soulèvement populaire que nous avons vécu il y a quatre ans réside, en effet, dans son caractère essentiellement spontané. Il n'y a pas eu de chefs politiques nationaux pour diriger l'insurrection, ni d'états-majors partisans pour l'organiser, et pas d'avantage de stratégie générale définissant des objectifs réalistes à court, moyen et long termes. Tout ce qui a été réalisé l'a été dans la spontanéité la plus complète.
Pourtant, lorsque l'on observe le déroulement des événements du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, on ne peut s'empêcher d'être impressionné par l'aspect hautement ordonné de leur évolution, comme si l'ensemble procédait d'une volonté unifiée, d'une vision planifiée de ce qu'il convenait d'accomplir. Les choses sont allées crescendo, permettant à la révolution d'accumuler des troupes toujours plus nombreuses et obligeant l'ennemi à disperser et éparpiller les siennes. Tout cela a engendré une dynamique d'une redoutable efficacité, avec des mouvements convergents allant des périphéries vers les zones centrales, des campagnes vers les villes, des couches sociales les plus marginalisées aux classes aisées les mieux intégrées – aboutissant, au final, avec une précision quasi-militaire, à une grande manœuvre d'encerclement de la capitale, siège du pouvoir, par le pays entier, toutes régions et tous milieux confondus.
Cette chorégraphie révolutionnaire, si belle, si intelligente, si puissante, était cependant restée de bout en bout une entreprise entièrement spontanée, une œuvre strictement populaire, directement fabriquée par les masses et la jeunesse — elle ne devait rien aux partis et moins encore à leurs directions. Son développement ne résultait d'aucune intervention préméditée des politiques, il s'était engouffré d'instinct dans les failles ouvertes par les lignes de fracture territoriales et sociologiques qui traversent la société — une société levée en masse pour réclamer et obtenir son affranchissement d'un régime prédateur devenu odieux à tout le monde et dont tout le monde voulait se débarrasser.
Toutes les conditions objectives de la victoire étaient réunies... Mais les conditions objectives, seules, ne suffisent pas. Comme souvent dans les révolutions, les conditions subjectives n'étaient pas au rendez-vous au bon moment. C'est cela qui explique la nature contradictoire du 14 janvier. Le départ de Ben Ali et de son clan était le maximum qui pouvait être atteint avec le soulèvement spontané. Pour aller plus loin et plus profond – encore une fois démanteler l'ancien régime en tant que tel et non pas seulement chasser ses figures les plus détestées, et simultanément avancer dans l'édification d'un nouveau régime –, il fallait la présence de forces politiques capables d'assumer l'option révolutionnaire. Or celles-ci n'existaient pas. En ce sens, le 14 janvier est tout à la fois un grand succès et une cuisante défaite. Plus précisément, il annonce les revers et les déboires qui allaient suivre, où nous nous sommes englués et dont nous ne sommes toujours pas sortis.
Revers et déboires dont il faudra pourtant finir par sortir. Et dont je suis persuadé que nous allons sortir. Parce que les révolutions, comme les pièces du théâtre classique, ne se jouent jamais en un seul acte.
*(Intellectuel et homme politique)
*Ce texte est extrait du prochain ouvrage de l'auteur, qui paraîtra bientôt, portant le titre provisoire : «Un devoir de vérité»


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.