«Eclosions», une exposition inaugurale haute en couleur d'un groupe d'artistes peintres tunisiens égaye les cimaises de la nouvelle galerie Alexandre-Roubtzoff. Sur le grand étage de la galerie, la richesse émotionnelle et communicative des œuvres témoigne du don de ces artistes dont les démarches et les supports surprennent, bousculent et nous confrontent à l'inhabituel. Les couleurs vibrent au sein des formes, s'agitent, se côtoient, parfois se mélangent, faisant ainsi naître les couleurs sous-jacentes de l'être. Celles que l'on ne perçoit pas ordinairement, reflet de notre subconscient. Wissem El Abed est l'un des exposants. C'est un artiste plasticien et docteur en arts et sciences de l'art de la Sorbonne, il a à son actif un nombre d'expositions personnelles et collectives. Il a participé, également, à un nombre de foires d'art contemporain européennes. En tant qu'auteur et illustrateur, sa pratique artistique interroge les paradoxes qui sillonnent le monde actuel. On retrouve des associations d'idées à l'intérieur d'une même image. Il utilise peu de couleurs et peint peu de détails. Cela lui permet d'aller à l'essentiel et de créer ainsi une image claire, efficace et forte. Les personnages décrits sont peints d'une manière naïve et très illustrative. Il les plonge dans une histoire, crée le début et, surtout, il laisse le lecteur s'imaginer une suite... Rachida Amara est diplômée en gravure de l'Ecole des beaux-arts de Tunis, mais c'est sur la toile qu'elle laisse s'exprimer ses impulsions. Par l'utilisation du dessin de «la femme» comme fondation de l'image, Rachida produit une œuvre fine et délicate. Sous un aspect faussement naïf, ses portraits essaient de saisir des émotions, des caractères. A travers la figuration libre, elle essaie, avec spontanéité et simplicité, traits et plages subtilement colorées, de délivrer et dévoiler une vérité humaine que nous ne pouvons qu'associer au mot liberté. De son côté, Adel Akremy, dès ses débuts dans le domaine pictural, s'est immédiatement plongé dans un univers avant-gardiste. Sa première exposition, il la doit à la chaleureuse équipe de l'Espace d'Art Mille Feuilles. Depuis, il ne cesse de créer des œuvres, facilement identifiables réalisées sur des sacs de ciment, s'inspirant du quotidien, des femmes et des images symboliques du pays. C'est un artiste autodidacte distingué. Il est toujours à la recherche d'une matière brute, naturelle, pauvre, comme support, pour s'exprimer. La découverte de son support, le sac de ciment, lui a permit d'évoluer picturalement. Il est, depuis, connu par ce support «magique». Il peint à l'acrylique sur son sac de ciment, ses rêves, ses femmes, ses fantasmes... en réalisant une technique mixte, en procédant à des collages de différents matériaux. Imed Jmaiel, quant à lui, c'est un créateur qui ne s'affuble pas d'élitisme, il recherche avant tout l'esthétisme, à l'aide d'un discours figuratif et humain où secret et interprétation ont, cependant, un grand rôle à jouer. Il revendique un langage populaire où chacun peut orpailler à sa guise ses sensations, subtilement ou à fleur de peau, un art qui touche tout un chacun. Sa peinture est spontanée, le geste est dynamique et suit le rythme de la musique qui l'accompagne. La peinture d'Imed s'invente au dernier moment sur la toile. C'est l'instinct qui le guide, sa peinture est gaie et colorée et renvoie à un caractère positif et optimiste. Enfin, Baker Ben Fradj, en parlant de son travail, affirme : «A ma sortie de l'Ecole des beaux-arts de Tunis en 1990, je pouvais choisir la carrière d'enseignant, socialement plus sécurisante ; j'ai opté pour le risque, en m'adonnant exclusivement à ma première et dernière passion: les arts plastiques, et en en faisant mon métier. En vivre n'est pas toujours facile ; mais la vivre, pleinement, entièrement, fut mon choix et mon bonheur. J' ai besoin physiquement, charnellement, de me tremper quotidiennement dans la matière, de respirer l'odeur de l'atelier, de l'encre, du papier froissé, de la toile, de la plaque, de l'acide, de la colle, de la peinture... besoin de composer et de recomposer, de déchirer et de recoller, de mélanger les genres et les techniques, d'écouter le grincement de la presse et d'observer le travail de l'acide sur la plaque... l'usure du temps qui passe sur les choses et sur le corps... besoin des éclaboussures, des émanations... jusqu'à me faire mal aux yeux ... pour me construire tous les jours en m' acharnant à reconstruire les objets et le monde». En effet, et au-delà des touches qui s'entremêlent avec une grande liberté dans ses œuvres, c'est dans un univers plastique très personnel que nous entrons, où le coup de pinceau s'apparente à l'écriture, où des lignes, des formes, des couleurs vont s'affronter jusqu'au moment où on arrive à une impression d'équilibre après le vertige.