D'après Raoudha Karafi, présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), qui s'exprimait hier lors d'une rencontre de presse à Tunis. L'AMT s'est déclarée surprise des nominations et des licenciements décidés dernièrement dans le secteur de la justice. Ce sont des pratiques « dangereuses», à son sens, parce qu'elles portent atteinte à l'indépendance du secteur. «Les hauts fonctionnaires de la justice ne font pas partie du staff gouvernemental. Partant, on ne les remplace pas à chaque changement de gouvernement, car ils ne sont pas responsables de la réussite de la politique du gouvernement», a indiqué la présidente de l'association. Elle a ainsi sévèrement critiqué les dernières nominations à la tête du tribunal administratif et de la Cour des comptes, considérant que c'est une «ingérence dans la question judiciaire». La justice doit être indépendante, a-t-elle indiqué, pour pouvoir exercer le contrôle nécessaire sur les décisions aussi bien du pouvoir législatif qu'exécutif. Dans ce contexte, l'AMT a appelé au respect du principe constitutionnel relatif à la séparation des pouvoirs. Raoudha Mechichi, première présidente du Tribunal administratif, et Abdelkader Zgolli, président de la Cour des comptes, ont été démis de leurs fonctions, par simple communiqué de la présidence du gouvernement, sans aucune explication. Et ce sont là des pratiques qui n'accordent aucun respect aux deux institutions qui, du reste, ne ressemblent pas aux autres institutions publiques, du moment qu'elles font partie du secteur judiciaire. Selon la lecture des évènements de l'AMT, le licenciement des deux magistrats est dû à leur application de la loi et au contrôle qu'ils ont exercé sur le pouvoir législatif et exécutif. Dans ce sens, Hamdi M'rad, représentant de l'association au sein du Tribunal administratif, a indiqué que Raoudha Mechichi a tranché dans des affaires concernant l'Isie (condition d'éligibilité), des municipalités, et elle a refusé de signer la décision du mouvement des magistrats. Quant au président de la Cour des comptes, on lui reprocherait, toujours selon l'AMT, l'ouverture de l'institution sur les médias et le contrôle qu'elle exerce sur la gestion des finances publiques. L'AMT dénonce, par ailleurs, le licenciement de Raoudha Mechichi, sur la seule base d'un entretien accordé à l'Union des magistrats administratifs! «Il aurait fallu accorder la possibilité à d'autres organismes représentatifs du corps des magistrats, pour que la décision soit cohérente et logique», a expliqué Raoudha Karafi. La conférence de presse de l'ATM a été également une occasion pour répondre aux propos du magistrat au Tribunal administratif Ahmed Sweb, qui, à son sens, a mené une campagne diffamatoire contre la première présidente du Tribunal administratif. Hamdi M'rad, représentant de l'association au sein du Tribunal administratif, n'a pas manqué de mettre Ahmed Sweb face à ses contradictions, suite à un article qu'il avait publié, sur un journal de la place. D'après lui, l'Union des magistrats administratifs a eu recours au pouvoir exécutif pour le remplacement de Raoudha Mechichi, ce qui est complètement contradictoire avec le principe de l'indépendance de la justice. Répondant toujours à Ahmed Sweb, l'AMT a présenté des statistiques du passage de Raoudha Mechichi au Tribunal administratif. Ainsi, entre 2010 et 2013, le nombre des affaires et dossiers traités s'est multiplié par deux, passant d'environ 4.000 à 8.000. Quant au nombre des magistrats, il a augmenté d'un tiers, passant de 95 à 130. Le nombre des affaires résolues par décision du Tribunal administratif a été, quant à lui, de 1.232 en 2013, soit une multiplication par trois en trois ans. Raoudha Karafi a par ailleurs souligné que l'AMT a demandé des entretiens avec le chef du gouvernement, mais en vain, ce qui pousse l'association à se demander sur ce qu'elle considère comme la «partialité» du gouvernement, de préférer une structure à une autre ! L'association ne compte pas s'arrêter à ce niveau. Elle envisagera tous les canaux de communication et de dialogue avec le gouvernement avant de passer à d'autres décisions, afin de lutter contre l'ingérence du gouvernement dans les affaires du pouvoir judiciaire par le biais des nominations et des mutations.