Des voix se sont élevées appelant à l'annulation des festivals et autres activités culturelles depuis la proclamation de deux deuils nationaux successifs. Pour elles, il n'est plus temps de goûter à la culture et aux arts, qu'il fallait faire taire nos artistes dont la voix est devenue, à leur sens, indécente. Mais, malgré les deux interruptions des programmes, des annulations et des reports, la vie reprend le dessus. Sans oublier nos morts, les festivals suivent de nouveau leur cours, en narguant la peur, le terrorisme et la violence. Ezzedine Gannoun, Mourad Sakli, Lotfi Bouchnaq, Moncef Sayem et tant d'autres de nos artistes l'on dit haut et fort : «Ils ne nous empêcheront pas de vivre et d'aimer la vie». Aurions-nous, sans le savoir, intériorisé les violences et le terrorisme ? Serions-nous devenus, comme nos frères Palestiniens qui, le matin, enterrent leurs morts, et l'après-midi balayent devant chez eux, arrosent le parterre et se placent à l'ombre avec les voisins pour partager un verre de thé ? L'odeur de la mort ferait-elle, désormais, partie de notre quotidien ? Les festivals reprennent mais, avouons-le, le cœur n'y est pas. Seulement, quand on voit la solidarité des artistes internationaux qui n'ont pas annulé leur venue, qui n'ont pas eu peur de venir chez nous, qui ont partagé notre deuil et qui acceptent de reporter leurs dates de représentations et de revenir pour notre public, on se dit que ça valait la peine de continuer. Pour Carthage, George Benson est parti en promettant de revenir, dès que l'occasion se présentera, le grand Paco De Lucia a accepté de décaler la date de son récital, Majda Erroumi est déjà à Tunis, l'Arméno-syrienne Lina Chamamyan n'a pas hésité à combler la défaillance de la Marocaine «frileuse» Asma lmnawar et montera, ce soir, sur la scène de Carthage aux côtés de Hassan Dahmani... Une grande leçon d'humilité de la part de grands artistes qui nous fait oublier la lâcheté d'autres qui ont pris leurs jambes à leur cou et n'ont même pas daigné informer la direction de Carthage qu'ils ne viendraient pas (n'est-ce pas Salif Keïta ?). Cela peut paraître anecdotique, mais si les festivals s'arrêtent en ce moment critique de l'histoire de la Tunisie, on aura du mal à reprendre un autre jour. La culture, les arts et toutes les formes de festivités sociales et collectives ont toujours joué un rôle déterminant pour remonter le moral du peuple, pour le maintenir lié à la vie, et faire en sorte que ses yeux brillent encore quand il voit un beau spectacle et que son cœur chavire en écoutant une belle mélodie. Quand la mort rôde, l'amour de la vie doit se manifester de toutes les manières possibles. Il est évident que la vie n'a de sens qu'en côtoyant la mort, mais ils n'arriveront pas à nous enterrer vivants.