«Dieu voulait que l'Islam soit une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique». Mohamed Saïd Al Ashmawi Moment inédit en Egypte et en Tunisie où la première expérience islamiste du pouvoir est dans l'impasse. Premier échec ou fin annoncée ? Première partie de notre dossier. Qui pouvait le croire il y a seulement quelques jours ? En un an de règne en Egypte et deux ans en Tunisie, l'actualité des régimes islamistes issus des premières élections libres a pris des allures feuilletonesques avec passions, intrigues, paroxysmes, accélérations, inconnues et graves questionnements. Egypte : coup d'Etat militaire ou acte II de la révolution ? Tunisie : rébellion à l'égyptienne ou pression pacifique jusqu'aux prochaines élections ? Et si la sortie proche ou ajournée des Frères musulmans ne pouvait se faire que dans la violence et les bains de sang, comme eux-mêmes le signifient ? «Toute personne qui piétine la légitimité sera piétinée...» Jamais en tout cas, depuis leur accès au pouvoir, l'avenir des jeunes régimes islamistes n'a semblé aussi incertain et leur horizon aussi fermé. Pour la première fois, tout concorde à le prouver, avec une synchronisation étonnante et une vitesse sans précédent : le cours des événements, les données géostratégiques, les thèses des historiens... et même les théories complotistes. Avec seulement quelques divergences sur le choix des mots et du timing : Impasse, Echec, Déclin ou Fin... Le tout aggravé par le silence fatal des régimes concernés. Devant la crise la plus grave qu'ils aient eu à affronter, le discours des islamistes se ferme au lieu de s'ouvrir. Il continue à briller par l'absence de solutions, à se réfugier derrière la forteresse de «la légitimité» et à brandir la menace contre ceux qui la violeraient... En Tunisie, le déchaînement, samedi 13 juillet sur l'avenue Habib-Bourguiba, du chef du bloc parlementaire du parti Ennahdha à l'ANC, Sahbi Atig sera probablement retenu dans les annales comme la plus éloquente illustration de l'absence de solutions et de la fin des arguments. «Toute personne qui piétine la légitimité en Tunisie, sera piétinée par cette même légitimité et toute personne qui ose assassiner la volonté du peuple en Tunisie ou en Egypte, la rue tunisienne sera autorisée à en faire autant (youstabahou)*...», a-t-il notamment lancé à l'adresse de ceux qui se hasarderaient à soutenir le mouvement naissant de rébellion en Tunisie, lors d'une manifestation pro-Morsi organisée par son parti en présence de près de deux mille manifestants. «Cette fois les salafistes ne laisseront pas toucher à l'Islam» Quelques jours avant lui, avec moins d'emportement mais autant de détermination, le chef du gouvernement, Ali Lâarayedh, a lui aussi menacé de traiter toute rébellion avec « vigueur et fermeté». Alors que dans la rue tunisienne et dans les plis des quartiers, des cellules de délation et d'action s'organisent et se diluent. Objectif : dénoncer le moindre «Tamarrod», en finir comme on peut et au passage, diffuser la menace aussi loin que l'on peut. Dans le Grand-Tunis, des chauffeurs de taxi au noir, profil «délinquant repenti» et alcoolique en manque sont recrutés à l'occasion parmi les membres des Ligues de protection de la révolution et répercutent un discours sanglant : «Cette fois, les salafistes ne se laisseront pas faire. Ils occuperont la rue avec leurs épées affûtées. Ils couperont les pieds et les mains de ceux qui toucheraient à l'Islam et à la légitimité. Il faut vous préparer à un bain de sang !», lancent-ils, au hasard des courses et à tout bout de champ. Ce qu'ils vous diront aussi c'est qu'ils ont vu de leurs propres yeux les traîtres de «Tamarrod Tunisie» se faire payer par Hamma et Essebssi... Quels ques soient ses expressions et ses auteurs, la réaction des islamistes tunisiens et leurs milices envers la destitution de Mohamed Morsi en Egypte et les prémices d'un mouvement de rébellion en Tunisie porte le même entêtement sourd et véhément. « Laissez-nous le temps de régler nos affaires en Egypte et de ramener l'ordre ici» Depuis le 3 juillet 2013, date de la chute du premier régime islamiste issu des élections du Printemps arabe, les affairres du pays sont mises entre parenthèses et l'occupation exclusive des dirigeants du parti Ennahdha est de chercher à restaurer le pouvoir à Morsi, de consolider le leur en Tunisie... A tout prix. « Maintenant, il faut nous laisser le temps de régler nos affaires en Egypte et de ramener l'ordre chez nous !» est désormais la phrase récurrente que lancent les dirigeants du mouvement à leurs partisans lors des réunions formelles et informelles qui se multiplient. Sur fond d'une crise économique qui se perpétue, et d'une incapacité à gérer le mécontentement, cette atmosphère politique, sociale et sécuritaire est loin d'être conjoncturelle. Elle pose avec acuité et sur épreuve de vérité la question de fond contre laquelle les historiens ont buté depuis le siècle dernier: la possibilité même de l'islam politique en tant qu'expérience de pouvoir, en tant que solution politique, économique, sécuritaire... Prochain article : Qu'est-ce que l'Islam politique ou le rêve qui n'a pas fait le printemps... ––––––––––––– (*) «Youstabahou» se traduit dans les dictionnaires arabes par «peut être tué». «Istibaha» donne lieu à «liberté et même devoir de tuer» Pour les linguistes qui l'ont interprété dans son cadre, il s'agit sans ambiguïté d'un appel au meurtre.