Par Rejeb HAJI* «Le mérite appartient à celui qui commence, même si le suivant fait mieux» (Proverbe arabe) Que Chokri Belaïd repose en paix ! Il a jubilé du triomphe du 14 Janvier, jour de la révolution du peuple, mais il a également souffert du virage emprunté pour le renouveau du pays vers une démocratie apaisée. Il était de la lignée des grands avocats au service d'autrui. Une curiosité à toute épreuve et un amour sans fond pour son pays. Leader politique de sa formation, il mettait son talent au service de la société. Il fut, malheureusement, abattu froidement par des sanguinaires sans foi ni loi dans un climat de peur et de suspicion qu'il dénonçait dans ses différents discours. C'est à bout portant qu'il fut tué, comme le leader Farhat Hached, par des balles venues d'ailleurs. Au service de son peuple, il a été résistant à toute forme de domination. Il pointait les dangers à venir. Au prix de sa vie et de l'avenir de sa famille, il croyait à juste titre, comme nous tous, que la ligne rouge des meurtres politiques ne pourrait jamais être franchie dans un pays à l'orée de la modernité. Juriste de formation, il avait foi dans les prérogatives de l'Etat. Il connaissait les contradictions du politique et ses effets pervers, mais jouait le franc jeu. Il n'a jamais prêché la haine, ni la vengeance. Fidèle à ses engagements à toute épreuve, il cultivait l'esprit de méthode et de franchise. Ses qualités intrinsèques et le chemin qu'il a parcouru lui ont assuré son autonomie d'action et de parole. Il voulait rendre service, là où le besoin se faisait sentir. A travers le pays, il organisa des meetings pour prêcher la bonne parole et présenter ses vues pour ouvrir la voie à la reconquête de l'espoir. Cet espoir perdu à la suite de deux années de délabrement de l'économie, de la course folle aux salaires et aux portefeuilles ministériels, ce qui a mis le pays en danger et au bord du chaos. «La politique étant une affaire de professionnels, les amateurs en sont exclus», tel est l'adage qui n'a pas été retenu par ceux qui ont amené le pays dans l'impasse! Notre dernier martyr de la liberté va-t-il enfin rendre les politiques à la raison? A ces prétendants sauveurs du pays, à ceux qui soufflent le chaud et le froid, à ceux qui dans les arrière-boutiques concoctent des solutions qui ne font qu'affaiblir la résistance des citoyens et par la suite mettre le pays à la portée de l'Etranger : partout dans toutes les régions, le peuple uni s'est joint à lui pour crier tout haut: ça suffit! Cette mort est ressentie par nous tous comme une atteinte à notre vie, à notre dignité et à notre honneur. Elle a mis fin à toute velléité de changement promu. En effet, l'Assemblée élue n'a pas été rassurante. Elle a failli à sa mission première d'écrire une constitution dans les délais d'une année que le peuple qui s'est rendu aux urnes lui a fixée. Elle s'est embrouillée dans de faux problèmes qui n'ont jamais été les premières préoccupations des Tunisiens. Il suffit pour cela de jeter un coup d'œil sur leurs délibérations dans le Journal officiel. Le gouvernement aussi, issu des rangs de la majorité et sous son contrôle, a échoué sur tous les plans. Le Premier ministre le reconnaît lui-même dans son dernier discours. La confiance n'est donc pas revenue et l'économie s'est détériorée. Le budget 2013 mal bouclé financièrement va encore accélérer la descente vers l'enfer de l'endettement. Des effets d'annonce sont le plus souvent utilisés par les gouvernants. Loin d'affronter les obstacles, le bricolage des fondamentaux économiques est la règle. Une incohérence dans l'action de la conduite de la politique économique et par la suite dans la communication où l'on a souvent affaire à un porte-parole et non au ministre concerné. Quelques repères, cités à titre d'exemples : une annonce de la hausse des prix du carburant, démentie puis confirmée, une maîtrise de l'inflation puis un chiffre indiquant le contraire, une diminution du chômage assurée par la création de centaines de milliers d'emplois alors que ce ne sont que des créations fictives, puis vient le tour des nominations hasardeuses fondées sur l'allégeance au parti dominant et à son chef dans des secteurs névralgiques et dans des entreprises fleurons de l'économie tunisienne. De plus, les nominations non publiables dans le Journal officiel de conseillers et de salaires des cabinets ministériels et de leurs occupants, aucune concordance avec la transparence proclamée de la gouvernance. Même les chiffres avancés, çà et là, laissent l'observateur averti perplexe sur leur véracité. Ce fut un jour de deuil mais également de fierté insufflée par le martyr. Depuis, on voit se pointer de nouveau une querelle de mots entre juristes sur la manière de sortir du pétrin où la coalition hétéroclite sans programme commun et sans vision de l'avenir a plongé le pays. Pour que notre pays ne s'embrase pas de plus en plus, un gouvernement de «technocrates non-partisans» a même été proposé. Cette main tendue du Premier ministre est un accouchement dans la douleur. Dès son annonce, elle fut rejetée par son propre parti et ses alliés. Faisant la sourde oreille et faisant fi de leur responsabilité, ces venus d'ailleurs n'ont pas été à la hauteur de leur mission. Ni la déclaration de leur revenu pourtant promise, ni la mise en congé de leur double nationalité ou encore de leur parti n'ont été suivies d'effet. Les hommes et les femmes devenus publics doivent se soumettre à la critique de leur conduite ou se démettre. Leur échec dans la conduite des affaires est patent. Nous l'avons signalé à plusieurs reprises dans cet espace de liberté. Tout le peuple avec toutes ses composantes a pleuré Chokri Belaïd mais espère que sa mort va protéger la vraie révolution. En effet, elle a mis à nu les vrais dangers qui guettent un pays affaibli et a démasqué une classe dirigeante discréditée. Elle a débusqué la course aux portefeuilles ministériels. Elle s'est attaquée à la faiblesse de l'opposition en lui indiquant le chemin à suivre pour relever le défi : un programme commun cohérent et réalisable. Chokri Belaïd souhaitait être témoin, de son vivant, de la disparition à jamais de ces nouveaux prédateurs que la Tunisie a enfantés. Il espérait que la Tunisie qu'il aimait et qu'il a servie avec ferveur tout au long de sa vie, renaisse de ses cendres en balayant tous les ripoux. La démocratie, pour lui, n'était pas un vœu pieux mais une issue certaine. Plus que d'autres, il a bataillé au grand jour et a subi les revers de son engagement. Comment exprimer toute notre tristesse et notre solitude à sa mort ? Comment imaginer sa joie à l'engagement de tous pour la réalisation de ses vœux ? Comment sauver le pays de la débâcle où il se trouve ? Les mots diront à peine notre souffrance. Ils ne consoleront jamais les siens qui devront être fiers de son parcours de combattant au service de sa cause : permettre à son pays de renaître vers la responsabilité et la modernité où dans la diversité, chacun retrouverait la sécurité et la joie de vivre. Mais le virage semble mal pris, à preuve l'incapacité des politiques à s'entendre ! Adieu Chokri Belaïd ! Que tes amis et tous ceux à qui tu es venu en aide se souviennent de toi. Toute ma compassion pour toute ta grande famille. Que Dieu te bénisse, t'accorde Son infinie miséricorde et t'accueille dans Son éternel paradis. Tu as marqué ta Tunisie et ton peuple. Ils s'en souviendront sûrement à jamais!