Par Jorge SAMPAIO (Haut représentant des N.U. pour l'Alliance des civilisations et ancien président du Portugal) Lors d'une des universités d'été organisées il y a quelques semaines par l'Alliance des civilisations (www.unaoc.org), qui ont réuni presque 170 jeunes gens provenant de 70 pays, tous les participants ont été invités à résumer l'expérience de toute la semaine en un seul mot. Chacun était émerveillé et a utilisé des mots étincelants : le sentiment d'une vie; amour; espoir ; occasion unique; réalisation; paix et j'en passe. Pourtant, une participante choisit de parler de «possibilité», mot qui retentit d'une façon plutôt grave dans cette ambiance euphorique. Les événements récents montrent, cependant, à quel point sa prudence est juste. L'indignation qui a éclaté dans de nombreux pays contre une vidéo provocatrice réalisée dans des circonstances obscures et visant à offenser les croyances religieuses d'un groupe de personnes est légitime et parfaitement compréhensible. Aucun croyant – qu'il soit musulman, chrétien, juif, pour ne mentionner que les religions du Livre – n'est prêt à accepter des attaques indécentes sur des sujets qu'il considère sacrés. Tous les citoyens devraient avoir le droit de ne pas être gratuitement offensés dans leurs sentiments et ils aspirent à être protégés contre des attaques indécentes. Mais s'agissant d'un droit, il devrait être revendiqué de façon légale et pacifique au sein de l'Etat de droit. Simultanément, tout en ayant ce droit, il est important de reconnaître que les actions méprisables d'une personne ne représentent pas une nation entière, ni tout le monde dans un groupe particulier, ni tous ceux d'une certaine foi. Sur ce point, je me dois de souligner la responsabilité cruciale qui incombe aux politiciens et aux leaders religieux afin qu'ils parlent franchement à leurs partisans, afin de les exhorter à être conscients de ce fait. Mis à part tout cela, une question complètement différente et qui doit être comprise comme telle est l'instrumentalisation d'une manifestation légitime de la colère par des extrémistes, afin de provoquer la violence de la foule pour leurs propres fins politiques. A mon avis, les meurtres brutaux de Benghazi n'ont guère de rapport avec la sortie de la vidéo. Les auteurs de cette violente attaque terroriste doivent être traduits devant la justice, comme les autorités libyennes l'ont promptement souligné. Et tout comme les extrémistes ne représentent pas tous les Libyens, les réalisateurs de la vidéo offensante ne représentent pas l'Amérique, ni tous les Américains, ni tous les chrétiens. A mon sens, il est nécessaire que ceux d'entre nous qui sont au milieu – l'écrasante majorité – reprennent le dialogue des extrêmes pour occuper la place qui leur revient de plein droit. Vraisemblablement, il y a un autre fait lié à cela, c'est l'existence d'une angoisse primordiale très aisément exploitée lorsque des événements comme ceux que nous connaissons actuellement se produisent. Le moment est propice, pour ceux qui y sont enclins, pour profiter des sentiments populaires, pour inciter les personnes et pour encourager la violence afin de renforcer leurs positions de pouvoir. Tout en rappelant mon point précédent concernant un leadership responsable, cela souligne également le besoin d'une réflexion profonde sur les tensions persistantes entre l'Orient et l'Occident ; sur les préjugés et les stéréotypes qui continuent de miner les bonnes relations entre les sociétiés musulmanes et occidentales; et à quel point un énorme niveau d'hostilité et d'animosité est toujours présent, faisant que la moindre étincelle soit suffisante pour provoquer une explosion. Finalement cela indique à quel point l'Alliance des civilisations des Nations unies est une initiative opportune et légitime, mais cela nous rappelle aussi et de manière douloureuse que notre travail dans l'Alliance est loin d'être terminé. Nous devons redoubler nos efforts pour combler les fossés culturels, pour promouvoir la compréhension interculturelle, la confiance et le respect mutuels entre les sociétés et en leur sein, à tous les niveaux – international, régional, national et local – et dans tous les domaines d'action – de l'éducation à la jeunesse et aux médias. Dans les sociétés démocratiques et de forme croissante partout dans le monde, les gens sont libres d'exprimer leurs droits. Joignons tous nos voix et travaillons ensemble pour répondre de manière appropriée à l'augmentation alarmante de l'extrémisme, à la haine religieuse et au discours de haine, tout ce qui peut miner les attentes des personnes pour une vie meilleure dans la dignité, la liberté et la sécurité. Nous devons faire preuve d'audace et prendre des mesures urgemment pour transformer la possibilité de vivre ensemble dans la diversité, le dialogue, le respect et la paix, en une réalité.