De notre envoyé spécial à Doha Nejib Ouerghi Depuis le déclenchement du printemps arabe, le Qatar, ce minuscule Emirat du Golfe, est sur tous les fronts. Malgré le dépit provoqué chez l'opinion publique arabe par le rôle diplomatique, économique et culturel qu'il ne cesse de vouloir jouer, à coup de pétrodollars, Doha ne lâche pas du lest et fait toujours montre d'un activisme tous azimuts, de Tunis en passant par le Caire, Tripoli et Damas. Le plus intrigant et paradoxal dans tout cela, c'est la propension de cet Emirat à faire triompher la démocratie dans cette partie du monde. Sa richesse insolente et ses relations privilégiées avec les Etats-Unis d'Amérique notamment l'ont propulsé à jouer le rôle d'une puissance régionale. Le plus astucieux, également, c'est que cet Emirat, aux ambitions démesurées, situé entre deux voisins puissants, est parvenu à faire parler de lui tous les jours en réussissant à se mettre du bon côté de l'histoire. Cette omniprésence du Qatar a trouvé dans les révolutions de la Tunisie, de la Libye, de l'Egypte et actuellement de la Syrie un bon terrain d'action et d'expérimentation lui valant, au départ, les bonnes grâces des puissances occidentales et, ensuite, des islamistes, des plus modérés aux plus radicaux. Grâce à sa richesse, il détient les troisièmes réserves mondiales de gaz, ce micro-Etat fait rêver et commence à se prévaloir en tant que puissance financière et diplomatique, éclipsant au passage l'Egypte et l'Arabie Saoudite. Signe évident de l'activisme de Doha, de sa volonté de créer l'événement et de rester constamment sous les projecteurs, son organisation du forum arabe sur la restitution des fonds spoliés dans les pays du printemps arabe du 11 au 13 septembre 2012. Un événement auquel ont été conviés la Tunisie, l'Egypte, la Libye et le Yémen, pays connus pour être des paradis fiscaux, le groupe de l'initiative de Deauville, la Ligue arabe, l'Ocde, des organismes spécialisés de l'ONU...En somme, tous les protagonistes et les parties influentes censées, théoriquement, faire sortir ce dossier d'un blocage qui ne cesse de susciter l'indignation de la société civile un peu partout dans le monde, la déception et le questionnement des pays dont les fonds avaient été pillés. Hier, et avant même l'arrivée du président provisoire, M. Moncef Marzouki, à Doha, et signe de bonne volonté, le Qatar a annoncé unilatéralement l'expulsion de Sakhr El Materi de l'Emirat. Un geste d'une grande symbolique qui montre l'habileté de l'Emir du Qatar dans le jeu politique et son obstination à toujours créer l'événement et à surprendre au risque même d'indisposer ses voisins les plus proches. L'ouverture, aujourd'hui 11 septembre, du forum arabe sur la restitution des fonds spoliés des pays du printemps arabe trouvera dans cette décision un bon argument pour accentuer la pression sur les pays encore récalcitrants et peu enclins à permettre à ces pays en crise de récupérer leurs avoirs détournés illicitement. Malgré ce brin d'optimisme, l'on se demande si ce forum arabe, annoncé et organisé en grande pompe, n'est-il pas plutôt un nouveau coup de bluff médiatique qu'une initiative sérieuse dont la finalité consiste à aider ces pauvres pays à récupérer ces fonds mal acquis par leurs ex-dictateurs ? A l'évidence, la fin de l'Etat spoliateur n'augure aucunement le retour de l'argent volé aux pays d'origine. Cet argent, relèvent de nombreuses associations de la société civile, continue malgré tout de profiter aux banques et aux pays qui accueillaient ces capitaux. Aujourd'hui, une conviction se dégage : sans la collaboration des banques et des paradis fiscaux, à défaut d'une véritable volonté politique des pays où ces avoirs sont déposés, il est difficile, voire impossible, de faire la traque des biens mal acquis ou de mettre la main facilement sur l'argent détourné. Manque de volonté politique de la part des gouvernements spoliés, insuffisance de la coopération internationale, complexité des procédures. Les explications sont multiples. Un forum, comme celui de Doha, ne fournira nullement une potion magique pour inverser l'ordre des choses et briser l'opacité qui entoure la gestion de ces fonds illicites. Ce constat amer pousse plutôt à la résignation et à la colère. Les déclarations que ne cessent par exemple d'annoncer les autorités suisses, canadiennes, libanaises... faisant de la restitution des avoirs illicites une priorité, sont rarement suivies d'actions concrètes ou d'avancées significatives. A ce jour, aucun sou n'a été récupéré par la Tunisie depuis le 14 janvier 2011. Les objectifs optimistes affichés par les organisateurs du forum consistant à lancer une initiative permanente afin d'appuyer les efforts via des réseaux régionaux constitués par les pays concernés par ce dossier, de renforcer les expériences respectives et de mettre en place une base de données spécifique, peuvent-ils être suivis d'effet ou favoriser une restitution rapide de ces fonds aux pays d'origine ? Pas sûr. Au moment où ces pays traversent une crise politique, économique et sociale aiguë et que leurs besoins en sources de financement sont de plus en plus urgents, l'échange de points de vue sur les meilleures pratiques, la définition de leurs besoins en formation de compétences en matière de restitution de fonds mal acquis, restent en net décalage avec les attentes de ces pays et des ambitions de leurs populations.