Par Rejeb HAJI* • «Le niveau de vie des Français serait sans doute de 50% supérieur à ce qu'il est actuellement si, depuis une génération, l'information économique avait été meilleure» (Alfred Sauvy) Est-il utile de s'initier à l'économie ? A notre avis, cela est d'autant plus nécessaire que le langage économique devient, aujourd'hui, dominant dans notre langage commun. Les politiques et les médias utilisent de nombreux termes faisant référence à des notions économiques, mais rares sont ceux qui les expliquent. Nous allons, comme nous l'avons fait dans nos articles précédents, publiés par le journal La Presse, vulgariser certaines de ces notions. Il est évident, que nous ne prétendons pas donner des leçons académiques en économie, la bibliographie à ce sujet est, depuis la nuit des temps, particulièrement riche et prospère. Il s'agit pour nous, surtout, de mettre toute notre expérience pour que ces termes soient accessibles, même aux non-initiés, au maniement de ce langage qui régit de plus en plus aussi bien notre vie sociale que culturelle. L'objectif visé est de démystifier, un tant soit peu, ce langage et rendre l'économie une science moins lugubre qu'elle ne paraît. Aider à comprendre la politique économique menée par les nouveaux gouvernants dans leur période de transition et ouvrir des brèches pour participer, en connaissance de cause, à des choix raisonnés dans l'élection de la nouvelle Assemblée dont la date fixée sera, nous l'espérons, respectée. Partant de cette logique et s'adressant à différents lecteurs, il est utile de s'intéresser aux fondements théoriques retenus pour résoudre des problèmes concrets dans lesquels notre pays se débat des décennies durant. Aussi, nous a-t-il paru nécessaire, afin d'y familiariser le plus large auditoire, de revenir sur les thèmes traités par ceux qui ont eu à rédiger, voire élaborer le budget complémentaire 2012. Ils soutiennent dans leurs divers propos et déclarations que les fondements de la politique gouvernementale sont inspirée de deux courants économiques : la «politique sociale de marché» et celle dite de «stop and go». Qu'en est-il au juste de ces orientations ? Quels sont leur succès et leur échec ? Que peut en attendre la population confrontée à un double défi, celui d'un chômage massif et d'une inflation non maîtrisée ? Comment se sortir d'une situation, non de récession, mais de stagflation, c'est-à-dire caractérisée à la fois par une stagnation de l'activité économique et de l'inflation ? Ces termes, évocateurs pour les économistes, ne sont en fait qu'une description d'une certaine réalité vécue depuis les dernières décennies, mais camouflée par des sphères financières qui évitent, en premier lieu, de jeter l'huile sur le feu et arguent plutôt que notre pays est un exemple à suivre. Un retour même rapide sur ces notions va nous conduire à évoquer, tour à tour, la politique du «stop and go» puis celle d'«économie sociale de marché». La politique «stop and go» D'abord, il faut rappeler que la politique de «stop and go» est une politique à court terme répondant à une situation provisoire dont les objectifs sont ceux du carré magique de Nicholas Kaldor : «Assurer le plein-emploi, la croissance du produit intérieur brut, la stabilité des prix et l'équilibre de la balance commerciale». Mais l'expérience a prouvé qu'à «chaque fois que l'on croit atteindre l'un des quatre, c'est de l'autre qu'on s'éloigne». Elle se résume en une alternance de phases de relance de l'activité à laquelle succèdent des politiques de rigueur. Les deux leviers fondamentaux de cette politique sont, à la fois, une politique budgétaire et une politique monétaire. En d'autres termes, la priorité est donnée à l'emploi par une politique de relance ou politique de «Go» qu'on peut caractériser par une amélioration des salaires, l'accroissement de la demande publique (infrastructures...), le déficit budgétaire et une politique monétaire ayant comme outils l'abaissement du taux d'intérêt, le contrôle de la masse monétaire... La primauté est également donnée à la lutte contre l'inflation et à la réduction du déficit extérieur par une politique de rigueur ou politique de «Stop». Les effets attendus seraient un ralentissement de la croissance et par suite de la demande, ce qui va se traduire par une hausse du chômage mais par des effets bénéfiques sur les prix, l'équilibre extérieur et les résultats des entreprises. Ces orientations libérales ont été expérimentées dans les pays développés jusqu'aux années 1970. L'économie britannique en a été le modèle. Mais les crises de 1970 ont démontré le peu d'efficacité de cette politique. Contenir l'inflation et assurer, à la fois, un faible taux de chômage est un paradoxe non encore résolu. Ces deux variables incompatibles imposent une compréhension rigoureuse des enjeux. Choisir entre la relance et la lutte contre l'inflation nous paraît illusoire. La situation dégradée de notre pays n'est pas en mesure de faire les frais d'une politique, remise en question partout dans le monde à cause de ses risques. Ces derniers ne font d'ailleurs que s'aggraver dans notre pays : la croissance, toujours au ralenti, ne démarre pas; le chômage, de plus en plus crucial, ne s'atténue pas; le budget, basé sur des hypothèses trop optimistes, souffre de son déséquilibre en faveur des dépenses de l'Etat. Les recettes libérales orthodoxes ne sont plus, à notre avis, d'actualité. Comme la politique du «stop and go» n'a pas prouvé son efficacité au cours des temps, elle a été abandonnée par ses pères les libéraux (Mme Thatcher en Angleterre). L'économie sociale de marché Seule la démarche de «l'économie sociale de marché» est considérée, aujourd'hui, comme prometteuse. Elle devrait être retenue comme une piste d'avenir adaptable. Notre choix va vers cette dernière car elle repose, à la fois, sur une composante «marché» garantissant des taux de rendement élevé et sur une composante «sociale» sauvegardant la paix et la dignité humaine. Le rôle de l'Etat est d'impulser des actions en faveur des secteurs vulnérables de l'économie et à soutenir les catégories faibles de la population. Cet ensemble d'idées expérimentées en Allemagne, depuis plus d'un demi-siècle, lui a permis une réunification au moindre coût et en un temps record. Elle peut être source d'inspiration pour un développement économique harmonieux, en phase avec la protection de l'homme. Mais comme préalable à cette politique, une réforme de structure devrait être engagée au plus vite. Le poids des traditions, ajouté à celui de l'héritage, peu réjouissant, légué par les novembristes, peuvent constituer des freins à toute idée d'innovation. Mais comme première action à entreprendre, l'Etat, assurant le financement de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur (principe de la gratuité de l'enseignement), a investi à long terme dans ce domaine à grands frais, l'heure de vérité a sonné pour une réévaluation objective des efforts consentis. Il faut donc revoir l'investissement dans les connaissances, dans les compétences et dans le savoir-faire pour préparer une nouvelle base pour ce nouveau modèle de développement. D'autant plus que l'économie sociale de marché, source d'inspiration plausible, exige en premier lieu une Constitution avec des institutions et des règles fixant le jeu de la vie politique et sociale (principe de solidarité, liberté d'entreprendre, libre accès au marché, libre concurrence...) qui tarde à prendre forme ; une politique structurelle (infrastructure, recherche, formation professionnelle...) à long terme dont il faut jeter les fondements par le dialogue et la participation la plus large et la plus consensuelle et non par des catalogues non chiffrés dans le temps et dans l'espace; une politique conjoncturelle en collaboration avec la Banque centrale, tout en définissant au préalable le rôle de cette dernière, et en respectant son indépendance (stabilité monétaire, équilibre budgétaire...) et enfin une politique sociale à plusieurs facettes (solidarité avec les personnes vraiment nécessiteuses, éducation, culture, protection de l'environnement...) avec la participation des forces vives de la nation (syndicats, pôles politiques, société civile...). La mission de l'Etat consisterait alors à définir le cadre économique et social sans pour autant interférer avec l'autorégulation du marché. Telles sont les bases de l'économie de marché dont l'homme est le centre avec ses droits et ses devoirs. Par des impôts rendus progressifs, il permet de financer les services publics (infrastructure, développement des régions, renforcement des prestations sociales...). Il participe activement ainsi à la création des richesses et bénéficie de la prospérité qui en résulte. Responsable de ses actes à l'égard d'autrui et envers la société vis-à-vis de la paix civile et du développement du pays vers la voie de la modernité et du progrès, il en assume les conséquences. C'est donc d'abord à l'individu, ensuite à la famille et enfin à toute la collectivité qu'incombe la création des conditions de vie meilleures, dans un environnement apaisé où seule la justice sereine et indépendante a le dernier mot. Tel est le cadre de l'économie sociale de marché dont nous avons énuméré, dans nos différentes contributions, des axes que l'on pourrait mettre en chantier dans l'immédiat. Une telle orientation exige la connaissance scientifique de la réalité et c'est à la statistique qu'est dévolu ce rôle. A l'instar de la Banque centrale, indépendante du pouvoir politique, l'Institut national de la statistique doit l'être également. Il est considéré comme la voie complémentaire qui mène à la réalité dont la validité se vérifie à tout moment. Nul doute que le message de la justice sociale combinée à l'économie de marché est un paradigme qui a réussi en Allemagne et qui peut être transposé dans des modèles de développement comme le nôtre, en quête de justice et de liberté. Une réflexion pointue sur l'origine et la nature des obstacles à rencontrer et sur leurs effets à court, moyen et long terme s'avère nécessaire pour mieux apprécier les remèdes proposés. Un colloque réunissant tous les acteurs économiques du pays pourrait en définir les contours et fixer les échéances. Le devoir serait de parer au plus pressé : la diminution du chômage par la concentration de toutes les structures et la création d'un guichet unique, un ministère par exemple qui aurait en charge des pôles d'emploi, en quelque sorte une météo de l'emploi dans toutes les régions de la République. Un recours aux hommes d'action et à l'intelligence des Tunisiens par-delà les égoïsmes, les haines ancestrales et les faux calculs populistes sordides, pourrait remettre le pays en mouvement. L'histoire est là pour donner une assise à la conscience collective de la société. Comme le passé historique donne un sens à la destinée personnelle de chacun, la fonction critique doit être considérée comme une fonction sociale nécessaire pour mieux comprendre le présent et appréhender l'avenir. Les valeurs d'une société dont nous tous nous nous proclamons sont vécues et reçues différemment selon notre origine sociale. Un dénominateur commun nous unit et il mérite d'être renforcé en cette période de crise, c'est notre contribution à tous, sans exclusive, pour «rendre notre révolution crédible, notre pays viable et agréablement vivable».