C'est à une véritable fête de l'expression démocratique qu'ont été conviés, hier, par la force attractive de la commémoration, des dizaines de milliers de Tunisiens de tous âges qui ont choisi l'avenue Bourguiba, à Tunis, pour se remémorer la chute, un an plus tôt, sous l'estocade finale de cette même foule, de l'ancien dictateur. Tout comme une mosaïque moderne multicolore et aux formes bizarres, se sont donné rendez-vous, hier matin, une multitude de petits carrés de militants de bords multiples, scandant des slogans souvent discordants confinant à la rupture, mais sans jamais sonner la charge. Dans la cacophonie de cette fête multicolore où sympathisants de tous les partis et groupes politiques, syndicalistes, intellectuels et associatifs s'entremêlaient et s'entrecroisaient, un îlot nommé Ugtt était, comme une année plus tôt, un point de ralliement privilégié. La place Mohamed-Ali Hammi, fief du syndicalisme militant d'où sont parties tant de révoltes populaires, est archicomble, donnant le spectacle d'une assemblée bouillonnante d'où fusent invectives, slogans et hourras. A 11 heures tapantes, ponctuel comme un énarque, Hassine Abbassi apparaît au balcon en compagnie de ses collègues du BE. Le nouveau secrétaire général adresse un salut solennel au peuple tunisien qui, «par sa révolution, a renversé un régime corrompu», cette révolution qui est «celle des jeunes Tunisiens, des chômeurs et des zones défavorisées, mais aussi celle des syndicalistes et des travailleurs». Et le nouveau leader de rappeler le rôle joué par les locaux de l'Ugtt au service de la révolution dans toutes les régions. Sachant que c'est d'ici même qu'était partie, il y a un an, la première vague de manifestants de l'avenue Bourguiba. Entrecoupés d'acclamations en l'honneur de l'Ugtt, ses propos sont sobres, mobilisateurs, conciliateurs et fermes. La centrale de Farhat Hached poursuivra son combat pour la démocratie et la prospérité des travailleurs comme de l'ensemble du peuple tunisien. Avec les syndicalistes, la place a accueilli d'autres catégories de militants : avocats, associatifs, politiques (notamment des courants de gauche) qui, le discours terminé, défileront vers l'avenue en une manifestation pour «le travail, la liberté et la dignité nationale», laquelle n'a pas su résister à la tentation de renvoyer dos à dos Américains et Qataris, fustigeant leurs «dollars corrupteurs de consciences».