2005, Waltemberg, un premier roman de Hédi Kaddour, inconnu du sérail littéraire. L'ouvrage, un gros pavé de plus de 800 pages, une fresque romanesque qui obtient le Prix du premier roman, gros succès critique et public. L'auteur est né en Tunisie en 1945, il n'a gardé de son pays natal que quelques fragments : son premier souvenir d'enfance «Président de Cazalet», le nom du paquebot qui part de Tunis vers la France à bord duquel se trouve Micheline Ostermeyer, une future championne olympique de lancer de disque et de saut en hauteur et qui deviendra pianiste concertiste, la composition d'un complet poisson consommé à Bizerte, ces bribes sont extraites de ses notes rassemblées dans un ouvrage Les pierres qui montent (Gallimard 2010). «Mon rapport à la Tunisie, dira-t-il à la sortie de Waltemberg dans une interview donnée au critique Karol Beffa (2005 ) est à la fois sympathique et lointain». Il a été longtemps coopérant français au Maroc où il a enseigné (licence d'arabe). Les souvenirs du futur poète, romancier se trouvent plutôt dans son Alsace d'enfance et Paris, c'est à l'approche de la soixantaine qu'il écrit son premier roman Waltemberg par lequel il est entré dans le gotha des écrivains, sa place est de taille confortable qui compte dans le milieu littéraire. Les références romanesques, les lectures littéraires, les bouffées de critiques esquissées dans des revues spécialisées et des journaux nous en disent long sur son parcours, ses centres d'intérêt, son érudition de romancier poète et traducteur. 2010 Savoir-vivre, une histoire de Londres, un roman qu'on ne vous conseillera pas assez de découvrir, un récit que vous ne lâcherez pas une fois entamée. L'ouvrage a été accueilli avec forts éloges, une flopée de critiques et pas des moindres ont scandé par des témoignages gratifiants la valeur du livre , particulièrement ceux de Bernard Pivot et Pierre Assouline . Conséquence, dès sa parution, il a été mis sur les rails du succès. C'est une histoire vraie, celle d'un homme de guerre est d'une femme seule. Elle s'est passée en Angleterre au cours des années 1920. A l'époque, elle a fait cinq colonnes à la une dans la presse, puis elle a disparu, c'est annoncé en dernière de couverture. Hédi Kaddour a découvert le contenu de cette nouvelle au British Library, il est anglophone traducteur. Et c'est à partir de là que commence le travail du romancier. Nous sommes à Londres en 1930, Max est journaliste venu en reportage pour l'Exelsior, son sujet se rapporte à l'événement 1920. Le roman prend de l'élan, l'auteur raconte des rencontres ordinaires mais avec une telle maestria que son lecteur plonge la tête devant. Londres à cette époque foisonnait de ligues anti-communistes, d'organisations proches du fascisme, la France réclamait l'argent de la guerre à l'Allemagne, alors que l'Angleterre cherchait la paix pour exporter ses produits. Max revoit sa maîtresse Lena, chanteuse lyrique, son état d'âme est brossé en un trait : «Elle avait du brillant dans les yeux». Où, à travers la mode des années trente, nous apprenons que la vie est plus dure à Londres qu'à Paris, Kaddour décrit : «La robe jaune et bleue de Lena était à la mode, une mode qui reprenait des hanches, de la poitrine…c'était une mousseline imprimée, une jupe à trois étages, souple». Ce à quoi Max répond : «A Paris en ces temps on appelle ça un trois fois rien». En ce mois d'août à Whitehead, chemin faisant, le couple rencontre un cortège venant de Trafalgar Square pour commémorer la bataille de Mons, un défilé qui n'en finissait pas. La bataille de Mons sera racontée dans des détails savoureux par le colonel d'armée Strether, héros du roman, devenu le confident de Max. Au passage, l'auteur nous gratifie d'un chapitre exquis d'une répétition entre Lena et son pianiste et amant. Arpèges et chant Le morceau est un lied de Schumann, cela nous vaut un dialogue ou plutôt un affrontement entre deux approches savantes d'un morceau de musique, où l'on apprend qu'une lecture d'une partition est sujette à interprétations multiples : un larghetto, qui évoque l'étonnement et non la méditation complaisante, affirme Lena, puriste, son pianiste surnommé Rubato par Max fait exprès de jouer plus vite presque andante. Un chapitre où l'amour se mêle aux phrases musicales. Quant au public, il ne voit souvent pas plus que l'aspect du chant. Dans une de ses interviews, Kaddour , germanophone traducteur, avoue son penchant pour la musique de Schumann. A lire le déroulement des phrases du lied, on reste coi devant ses connaissances. Lucide, il critique tout de même l'insertion de la musique dans le roman : dans une réplique, il fait dire au pianiste (p.64) «…de toute façon, les romanciers n'aiment pas vraiment la musique, quand ils en mettent dans un livre, c'est la musique sans les notes». Sans appel ! L'auteur est ainsi gourmand, dès qu'il introduit un morceau, il ne le lâche plus, donne son avis à l'aide de mots bien tassés, sans apparat, sans afféterie, sans graisse grammaticale (le mot est de l'auteur), bref condensé. La bataille de Mons, août 1914 ? Elle est prétexte à une explication claire et documentée, trois nuages, non, trois anges exterminateurs au milieu du tableau, elle nous renvoie aux secrets de la bataille d'Azincourt. Après la guerre, pour beaucoup c'est la misère, le chômage, le gouvernement attribue des postes à ses héros, le colonel Strether est affecté en maître d'hôtel dans un grand restaurant, nous goûtons dans son portrait un délice truffé de détails, l'homme est strict, un caractère sans fluctuations, une attitude irréprochable, «Strether répondait aux questions, s'attardait un instant à une table, plein de déférence pour les hommes, rougissant avec les femmes…». C'est Le savoir- vivre à la britannique, comme l'explique Kaddour dans une séance de lecture. Et quand Lena le juge, cela donne « … quand il les regarde (les femmes) il a toujours une longueur d'avance, il voit tout, même le maquillage». Max est reporter journaliste, l'auteur lui-même enseignant à l'Ecole de journalisme, nous donne quelques secrets du métier (p.55). «C'est tout l'art de l'interview, si vous voulez que les autres vous parlent, il faut leur parler, il faut créer un petit marché, un échange de nouvelles, dire vous-même que vous savez, et l'autre veut renchérir». Et quand Strether se met à tout expliquer, le reporter le remet sur les rails : «C'est un reportage-entretien que nous devons faire…dans un journal, chaque article doit se battre contre l'article d'à-côté, et celui de la page suivante, et celui du journal concurrent». Ce n'est plus une réplique, plutôt un atelier de journalisme. Les hommes sont revenus de la guerre, les femmes après les avoir remplacés retournent chez elles, Gladys, un personnage clé du roman, vit dans les centres urbains, Manchester, Birmingham ou Londres, à la recherche d'un emploi, elle est tantôt femme de chambre, ouvreuse de théâtre, ou serveuse dans un restaurant. Le lecteur a devant lui des descriptions sur le monde de la débrouille dans une grande ville ou Le savoir-vivre. Le MI5 (service secret anglais) entre en scène, le comportement et le portrait d'un sergent nous sont livrés, les grèves de 1926, le rôle des ligues fascistes, le récit continue son bonhomme de chemin, et puis soudain, sans crier gare, la surprise arrive, un coup de théâtre bouleversant, on ouvre les yeux, on reprend les pages précédant la chute à la fois surpris et séduit. A quelle page le coup de théâtre arrive, comment ? Ne comptez pas sur nous pour vous en dire plus, ca sera une goujaterie impardonnable.