Par notre envoyé spécial à Bruxelles Lassâad BEN AHMED Depuis le déclenchement du «printemps arabe», l'Union européenne a entamé une révision de sa politique de voisinage. Et dans le but d'affiner ses analyses, elle a envoyé plusieurs missions d'experts dans les pays partenaires et accueilli plusieurs acteurs de la société civile et des médias. La dernière en date, à laquelle La Presse a pris part, a conduit 13 journalistes de Tunisie et d'Egypte du 3 au 8 juillet à Bruxelles et à Strasbourg. Des workshops et des entretiens thématiques ont eu lieu à cet effet, au cours desquels les responsables européens ont exprimé les nouvelles intentions de l'Union européenne en faveur de la transition démocratique dans les pays de la rive sud. Les Européens marquent ainsi une rupture avec leur position passée considérant que «la démocratie n'est pas faite pour les Arabes et les Arabes ne sont pas faits pour la démocratie ». Cette révision touche la mobilité à l'intérieur de l'espace Schengen, l'accès au marché européen, la libre circulation des capitaux et l'appui aux partenaires selon le principe «more for more», plus d'appui pour plus de réformes. Un rapport est actuellement en cours de rédaction et devrait être rendu public vers le mois d'octobre de l'année en cours. Le nouveau contexte est perçu en Europe comme une nouvelle chance pour donner un nouvel élan au partenariat, freiné auparavant par le dossier des droits de l'Homme et des libertés publiques, principales lacunes des régimes dictatoriaux. La réalité du terrain ne reflète pourtant pas, jusqu'ici, cette «bonne volonté» : des restrictions plus sévères pour l'obtention des visas et l'attitude de l'Union européenne à l'égard des réfugiés tunisiens de Lampedusa en constituent une bonne illustration. Face à ce paradoxe, les responsables européens distinguent entre mobilité dans l'espace Schengen et immigration et considèrent que le besoin de l'Europe en immigrés est d'ordre structurel, seulement il faudra juste l'organiser. Quelles perspectives pour le partenariat avec la Tunisie‑? Les perspectives du partenariat entre la Tunisie et l'Union européenne font l'objet d'un débat à tous les niveaux de décision des institutions européennes, avec une concentration relativement importante sur les aspects liés à la démocratie, les droits de l'Homme et la liberté d'expression. La question de l'islamisme a été posée à plusieurs reprises dans ce débat. Elle ne constitue pas un facteur de blocage pour plusieurs responsables européens. Le volet économique est placé sur un plan secondaire dans ce débat. Une évaluation ultérieure à la révolution considère que le libre-échange des produits industriels entre la Tunisie et l'Union européenne a été bénéfique pour les deux parties, ce qui encourage l'ouverture des services et des produits agricoles. Les négociations ont été entamées avant la chute de Ben Ali et se poursuivent actuellement au niveau des experts, sans prétendre pour autant aboutir à une quelconque signature, dans cette phase provisoire de transition, mais elle sera soumise au premier gouvernement issu des élections. Pour un certain nombre de responsables optimistes, la Tunisie pourrait rapidement obtenir un statut avancé si elle s'engage dans un vrai processus de démocratisation. Certains parlent même de la possibilité d'intégrer la Tunisie dans l'espace européen. Un député du Parlement européen a évoqué la possibilité de créer une identité euro-méditerranéenne pour associer tous les pays. D'un autre côté, il existe un point de vue qui considère que le partenariat n'a pas été bénéfique dans les mêmes proportions pour l'UE que pour la Tunisie. Le pays aux petits moyens a été contraint de «brader» sa main d'œuvre pour attirer les investissements directs étrangers, ce qui a permis de créer des emplois et de sauver les exportations en cette période de crise économique, mais sans pour autant parvenir à créer des richesses durables et équitablement réparties. Au contraire, cela n'a fait que compliquer la vie aux Tunisiens, dont à peu près le quart vit actuellement sous le seuil de pauvreté (chiffre officiel). Un acteur de la société civile européenne a expliqué que ce phénomène était prévisible. Les économistes étaient convaincus que la mondialisation et l'économie de marché allaient aboutir au creusement du gap entre les riches et les pauvres, et ce phénomène serait plus sensible dans les pays en développement. Ce qui explique par ailleurs les politiques sociales désastreuses du système Ben Ali, 26-26, 21-21, BTS, etc. Ces politiques avaient pour objectif de corriger les incidences de l'intégration de la Tunisie dans la dynamique économique mondiale sur les catégories les plus vulnérables, mais le soulèvement populaire a montré que tout cela n'était que de la théorie. En tous les cas, après les crises mondiales, les appels à la «démondialisation» s'accentuent à travers le monde, notamment de la part des tendances extrêmes, d'autant plus que l'Organisation mondiale du commerce, n'arrive toujours pas à avancer sur les dossiers de l'agriculture et des services. Quelle perception de la Tunisie‑? Le discours des responsables européens sur leurs «frontières externes» a suscité plusieurs interrogations des journalistes de cette mission, notamment en ce qui concerne le slogan «more for more», de la politique de voisinage révisée, qui maintient la rive sud en position permanente de receveur d'aide. «C'est quoi votre perception de la Tunisie et de sa révolution ?», s'interrogeaient plusieurs journalistes, «Nous avons fait ce partenariat pour gagner, nous aussi, et non pas pour rester en mauvaise posture de demandeurs d'aides» s'exclamaient d'autres. Et c'était une question difficile pour nombre de responsables qui répondaient par des généralités en exprimant leur appréciation, à l'exception d'un cadre de la commission européenne ayant vécu pendant quelques années en Tunisie. Pour lui, notre pays a vécu un paradoxe entre un discours officiel qui fait état de miracles économiques et d'un vécu misérable d'une population fortement éduquée. C'était d'après lui une sorte de cocote minute qui allait exploser d'un moment à l'autre. D'autres responsables considèrent que la cause de la révolution était principalement le décalage de développement entre les régions intérieures et côtières. Et dans tous les cas aucun d'entre eux n'a considéré que c'était une révolution avant tout pour la dignité, sinon, le commissaire européen chargé du voisinage n'aurait sans doute pas laissé 13 journalistes attendre plus de 30 minutes dans les couloirs de son cabinet. Humiliant ! N.B. : Cet article ne cite pas de responsables en raison du caractère off the record des réunions.