Depuis quelques jours, les étudiants de l'Institut préparatoire aux études scientifiques et techniques (Ipest) sont en grève. La crème de notre élite en herbe ne fait donc pas exception à la règle : elle aussi veut sa part de contestation. Elle aussi exprime ses revendications. Elle aussi, diront certains, veut profiter de cette période «transitoire» pour faire plier l'administration… Mais à la facilité avec laquelle on se met de nos jours en grève, s'oppose la facilité avec laquelle on tend de plus en plus à récuser en bloc toute contestation sous prétexte qu'elle relève d'un opportunisme mal inspiré. Et la sagesse n'est peut-être pas tant de faire taire les revendications que de les calmer en les écoutant. Surtout lorsque les contestataires représentent un échantillon prélevé parmi les 100 meilleurs bacheliers, avec des notes à l'examen supérieures à 18/20. Dans cet établissement situé entre la Marsa et Sidi Bou Saïd, les revendications qui résonnent parmi les murs anciens des bâtiments sont au nombre de deux. La première, à laquelle les étudiants semblent accorder la plus grande importance, est celle qui consiste à revenir sur une décision prise à l'époque où le ministère de l'Enseignement supérieur était dirigé par M. Lazhar Bououni : décision qui a supprimé un des concours français qui offrait de larges perspectives aux étudiants, à savoir le Concours commun polytechniques. La seconde revendication porte, elle, sur la qualité de l'enseignement, en particulier pour la première année… Contacté et sollicité pour s'exprimer sur ce dernier sujet, le directeur de l'établissement fait valoir que la formation est difficile et que ceux qui se trouvent en difficulté sont tentés, en cette période, par l'option de la contestation… Un point de vue indirectement corroboré par un enseignant qui fait état d'une politique d'admission qui a connu ces toutes dernières années un certain assouplissement inopportun : «… Quand les règles de copinage s'instaurent à ce niveau et que les pressions pour inscrire untel viennent du ministère ou d'ailleurs, l'administration dont l'autonomie est relative finit par céder aux caprices ou au diktat des uns et des autres!» Mais cet enseignant ne nie pas qu'un problème se pose en matière d'enseignement : non pas au niveau de la compétence scientifique des professeurs, ni des modalités de recrutement, qui demeurent conformes aux normes de l'établissement car, dit-il, «Ce sont des agrégés ayant la formation requise pour exercer à l'Ipest… sauf, ajoute-t-il, qu'ils sont, disons, mauvais pédagogues». Le directeur lui-même, après avoir rejeté l'accusation sur la baisse de niveau de l'enseignement, concède malgré tout qu'il y a «une part de vérité» dans ce que disent les élèves et, même, que des solutions sont à l'étude : ce en quoi elles consistent, il ne tient cependant pas à nous le confier : «C'est interne !»… Dans un article rédigé par un collectif d'élèves, le propos est toutefois très différent et fort explicite: «Lors de la majorité de nos séances de cours, nous avons assisté chaque jour pendant ces sept mois à un manque flagrant de pédagogie et d'efficacité de la part de certains de nos professeurs, voire à des fautes scientifiques dans les énoncés de cours, des applications et travaux dirigés, au cas où il y en a, et d'une absence presque totale des séances de travaux pratiques !»… Si le niveau de compétence scientifique des professeurs n'est pas reconnu par les uns et les autres comme le problème essentiel ou principal, le niveau pédagogique est épinglé d'une façon plus systématique. Pour les élèves, le problème vient du fait que les enseignants sont recrutés sans expérience professionnelle préalable, simplement parce que ce sont des agrégés. Le professeur qui nous renseigne estime pour sa part que, si les modalités de recrutement sont restées inchangées, c'est leur application qui «pèche par manque d'intransigeance». Et il préconise une «procédure d'habilitation pédagogique» car, fait-il valoir, «on peut être un génie mais incapable de former d'autres esprits et de concourir à leur réussite.» Bien sûr, dans ces conditions moyennement avantageuses, auxquelles s'ajoute le contexte très particulier de l'année scolaire en cours, on comprend la grogne des élèves, qui s'inquiètent raisonnablement de l'issue des évènements. Et qui réclament le rétablissement d'un concours qui, pensent-ils, pourrait leur redonner quelque chance d'atterrir dans une des écoles d'ingénieur françaises, même si ces dernières sont moins prestigieuses que celles dont le concours leur reste théoriquement ouvert mais dont la barre se retrouve placée un peu trop haut au regard de la préparation dont ils ont bénéficié, à savoir les concours de X et de Centrale. Bien sûr, comme le rappelle le directeur, ils n'ignoraient pas en s'inscrivant à l'Ipest que telle est désormais la règle du jeu : soit les deux concours prestigieux français et la perspective d'études réalisées en France en bénéficiant d'une bourse, soit le concours national d'ingénieurs. Mais, pour toutes les raisons évoquées, et parce que, comme dit le dicton arabe, «la nécessité a ses lois», les jeunes tentent de rétablir la possibilité de passer ce Concours Commun Polytechniques, dont ils reconnaissent qu'il ouvre à des écoles dont le niveau est parfois plus bas que certaines de nos écoles tunisiennes, mais dont ils rappellent qu'il ouvre aussi à des écoles relativement prestigieuses et qui n'ont pas vraiment d'équivalent chez nous : Ensimag, Enac, Enseeiht, Enseirg... La solution serait sans doute, à terme, de mettre en place chez nous une formation d'ingénieurs qui soit à la hauteur du niveau de nos jeunes élites et qui tirerait vers le haut la qualité de la formation préparatoire, au lieu qu'elle se trouve actuellement dans une sorte de flottement… C'est en tout cas le défi de notre système public de formation des élites qui joue ainsi son avenir !