Partenaire macroéconomique de longue date de la Tunisie, le Fonds monétaire international tire des leçons significatives après la révolution, sans compromettre ce partenariat stratégique. Lors des assemblées du printemps du FMI et de la Banque mondiale tenues à Washington du 15 au 18 avril, La Presse s'est entretenue en exclusivité pendant dix minutes, précises avec Ahmed Masood, directeur du département Moyen- Orient et Afrique du Nord au FMI, qui a bien voulu mettre au clair certains aspects relatifs à l'évolution de ce partenariat après le 14 janvier. Ecoutons-le. Merci de m'avoir accordé cet entretien. Je voudrais savoir, quelle est la nature de la coopération entre la Tunisie et le FMI, et surtout dans quelle mesure le FMI est responsable de ce qui s'est passé dernièrement. Et puis , après la révolution est-ce qu'il y aura un changement dans cette coopération? Depuis à peu près 15 ans, nous maintenons une coopération de surveillance avec la Tunisie, plutôt qu'une coopération financière. C'est un travail de conseil, d'analyse macroéconomique et d'évaluation de risques que nous faisons régulièrement avec tous nos pays membres dans le cadre de ce que nous appelons les consultations de l'«Article IV» des statuts du FMI, afin d'encourager des politiques visant à assurer une stabilité économique, et réduire la vulnérabilité aux crises économiques et financières. Nous entamons aussi d'autres visites 2 à 3 fois par an, afin de discuter de la situation, perspective et politiques macroéconomique. Sur quelle base ? Sur la base des données officielles fournies par les autorités économiques tunisiennes. En ce qui concerne notre coopération future, la leçon que nous tirons de l'expérience récente de la Tunisie, et des révolutions, tunisienne et égyptienne, c'est que les statistiques et données macroéconomiques, même si elle transmettent une vision positive de l'évolution économique, ne représentent qu'une partie de la réalité économique et sociale du pays. En effet, ces taux de croissance étaient assez élevés – la Tunisie a eu le taux de croissance par tête d'habitant le plus élevé des pays de la région — mais il s'est avéré qu'ils n'étaient pas satisfaisants. Le problème était que les gains de cette croissance étaient saisis par quelques-uns. Par conséquent, la majorité du peuple tunisien ne percevait pas une amélioration de niveau de vie telle que celle révélée par les chiffres de la croissance moyenne. A partir de là, la leçon que tire le FMI, dont le travail se focalise sur la macroéconomie, c'est qu'il faudrait aller au-delà des données macroéconomiques traditionnelles, parce que ces dernières ne donnent qu'une vision partielle de la réalité économique du pays. Comment comptez-vous donc procéder dans le futur ? A l'occasion de la table ronde sur «Les jeunes, l'emploi et la croissance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord» transmise sur la chaîne Aljazeera, le directeur général du FMI a mentionné le besoin d'explorer la possibilité de rajouter à notre expertise macroéconomique celles des autres institutions comme la Banque mondiale et le Bureau international du travail, spécialisées dans les domaines microéconomiques, et ce, afin d'aboutir à une meilleure évaluation de l'économie, et notamment de la distribution des revenus. Nous avons déjà entamé une réflexion sur la mise en œuvre de cette idée. Par ailleurs, il y a un aspect non économique qui a été révélé dans les révolutions tunisienne et égyptienne. Il est relatif à la justice et la dignité des gens. Bien sûr, ceci ne relève pas de la fonction du Fonds monétaire, mais plutôt de la responsabilité des autorités tunisiennes. Mais il est important de le reconnaître et le comprendre. La corruption par exemple, n'est pas uniquement un phénomène économique, mais il est également lié à la dignité des gens. Vous avez évoqué hier un nouveau modèle de développement économique pour la Tunisie, avec plus de transparence, une meilleure équité dans la répartition des revenus, etc. Il se pose une question de compétitivité, dont la Tunisie a bâtie entre autres sur le coût peu élevé de la main- d'œuvre. A votre avis lorsque le nouveau modèle prendra forme, est-ce que cette compétitivité sera affectée? Je vais vous poser une question en réponse : quel est le pays le plus compétitif en Europe ? Ce n'est pas le pays qui a les moindres salaires. C'est peut-être l'Allemagne, le pays qui a les salaires assez élevés. Par contre, les produits allemands restent compétitifs sur le marché international malgré le niveau des salaires. Et ceci s'explique par la productivité qui est encore plus élevée que les salaires. Donc, la réponse à la compétitivité n'est pas de réduire les salaires, mais plutôt d'augmenter la productivité, afin que les salaires puissent augmenter par la suite, tout en restant compétitifs. Comment? Pour ce faire, il faudrait améliorer le climat d'affaires. Les entreprises ne peuvent pas être compétitives lorsqu'il y a des contraintes dans le climat des affaires. Il est question aussi d'améliorer la qualité de l'éducation et la formation technique des gens. Je pense que le travail sur lequel nous devons nous pencher, c'est de voir comment améliorer la productivité. A court terme, il y a aussi un travail à faire pour s'assurer que les gouvernements tunisien et égyptien puissent répondre aux besoins et anticipations de leurs populations tout en gardant la soutenabilité budgétaire. Et c'est là où la communauté internationale devrait soutenir les gouvernements. Le directeur du FMI vient juste d'annoncer que nous avons 35 milliards de dollars disponibles pour aider les pays importateurs de pétrole de la région, à condition bien sûr que ces pays demandent cette assistance. En d'autres termes, nous avons les ressources pour aider ces pays. Dernière question d'ordre prospectif : depuis quelques années, nous assistons à une augmentation et une volatilité des cours des matières premières et notamment alimentaires. Comment à votre avis des pays relativement à faible revenus pourraient faire face à cette augmentation, et puis il se pose également une question de disponibilité comme était le cas en 2008 lorsque certains pays ont interdit l'exportation de ces produits? Pour le moment, on ne voit pas des cas d'interdiction des exportations. Cependant, l'augmentation des prix des matières premières est bien réelle et elle a des conséquences sur les pays du Moyen- Orient. Le blé est un bon exemple, car les pays de la région en sont de grands importateurs. A court terme, il est possible de répondre à travers des subventions pour maintenir la paix sociale. Cependant à moyen terme, il faudrait passer d'un système de subventions de produits consommés par toute la population (y compris les plus riches), à un système de protection sociale plus moderne qui vise les ménages les plus pauvres et vulnérables. Donc, c'est une modernisation du système de protection qui est nécessaire.