Ce sont bien les déménageurs de surface qui font la loi dans quasiment toutes les équipes encore en lice en Russie. Prophétisée par certains, popularisée par une Espagne victorieuse de l'Euro 2012 avec Cesc Fàbregas en pointe et un Barça qui a aussi un temps fonctionné sans attaquant de pointe de métier, la disparition du vrai numéro neuf allait soi-disant dans le sens de l'histoire du football. Cependant, ces renards grand format, mais toujours chenapans s'éclatent actuellement en Coupe du monde. Toni Kroos regarde ses pompes, les mains sur les hanches. L'Allemagne a encore du mal à réaliser, mais la voilà éliminée de la Coupe du monde 2018 après s'être inclinée 0-2 face à la Corée du Sud. Une rencontre où elle a tenu le ballon 70% du temps, obtenu neuf corners et botté seize coups francs. Et surtout tiré 27 fois au but. Pour rien. Ou presque. La Mannschaft a débarqué en Russie avec des idées plein la tête, un jeu de possession de balle confiscatoire et le jeune loup Timo Werner devant. Dont le profil, plus proche du faux numéro neuf que du Bomber à l'ancienne, devait faire tourner la tête aux défenseurs adverses. Son vieux vautour, Mario Gómez, ne pouvait, lui, que grignoter les miettes laissées par l'attaquant de Leipzig avec quelques entrées en jeu. En Russie, le Nationalelf a voulu prouver qu'il pouvait exister sans numéro neuf de surface. Et il avait manifestement tort. L'exception allemande Esquissé lors de l'Euro 2016, le Mondial 2018 confirme le retour en grâce d'un profil de numéro neuf que certaines mauvaises langues disaient démodé au plus haut niveau. Les quarts de finale du Mondial 2018 devraient ainsi voir la France aligner Olivier Giroud, la Russie Artem Dzyuba, la Croatie Mario Mandžukić, la Suède Marcus Berg et Ola Toivonen, l'Angleterre Harry Kane et la Belgique Romelu Lukaku. De son côté, l'Uruguay croit encore au miracle pour qu'Edinson Cavani soit remis de sa blessure à temps. Des grands albatros qui ont connu une réussite diverse depuis le début de la compétition, mais partagent un point commun : celui d'être fondamental au jeu offensif de leurs formations respectives. Une tendance contre laquelle s'est inscrite la Mannschaft en jouant la carte du faux neuf avec Timo Werner en pointe plutôt que Mario Gómez, donc. A moitié surprenant : depuis la retraite de Klose, aucun attaquant de pointe ne fait l'unanimité outre-Rhin. Joachim Löw en a profité pour aller au bout de ses idées en décalquant les concepts de l'Espagne et de son maître penseur, Pep Guardiola : « Le football du FC Barcelone et de l'équipe nationale espagnole m'a inspiré » , n'a-t-il cessé d'expliquer. Problème : l'Allemagne n'est pas l'Espagne. En embrassant pleinement le dogme de la possession, elle a perdu la verticalité et la qualité de finition dans les seize mètres qui avaient pu faire sa force par le passé. Guardiolisation Illustration en chiffres : en Russie, la Mannschaft a eu le cuir 67% du temps en moyenne — seule l'Espagne fait mieux — et tiré 45 fois au but. Bilan : deux pions en trois matches, dont un sur coup de pied arrêté. « Ces permutations que permet l'utilisation d'un faux neuf, ça demande énormément de complicité, pose Philippe Hinschberger, désormais entraîneur de Grenoble et passé sur les bancs du FC Metz et du Stade lavallois. On a un peu l'impression qu'à un moment, beaucoup de monde a voulu copier l'Espagne et le Barça... Mais ces équipes-là se sont basées sur une ossature de joueurs qui se connaissent par cœur. En équipe nationale, on n'a généralement pas le temps de s'appuyer sur une complicité comme ça. » Si l'Allemagne a livré une phase de groupes cataclysmique, elle n'a ainsi jamais été aussi dangereuse que quand Werner s'est décalé côté gauche, abandonnant l'axe et la surface à Mario Gómez (notamment entré en jeu à la pause face à la Suède).