Il y a urgence, aujourd'hui, de mettre en place un cadre juridique afin de mieux exploiter et orienter les recettes de l'aumône vers les populations vulnérables. L'aumône légale (Zakat) pourrait être un pilier important pour l'économie sociale et solidaire dans la Tunisie post-révolution. Que de grandes sommes d'argent, ou de produits alimentaires (olives, dattes, blés) issus de la Zakat qui ne sont pas utilisés à bon escient. On cherche le plus souvent à faire du bien en pensant plutôt à l'au-delà alors que des gens vivent dans la pauvreté. La Zakat permettrait de bâtir des écoles dans les régions démunies, monter de microprojets au profit des jeunes diplômés, c'est encore mieux. Les estimations de l'argent de l'aumône légale sont de l'ordre de 3.500 MDT par an, ce qui pourrait être une solution efficace et efficiente pour le budget de l'Etat qui s'endette de plus en plus, ont révélé les experts de la finance islamique, lors d'une conférence organisée avant-hier mardi à la Banque Zitouna à Tunis sous l'intitulé «L'aumône, pilier principal de l'économie sociale et solidaire». Un concept mal accepté La finance islamique est un concept nouveau qui commence à se frayer un chemin dans le monde financier en Tunisie après la révolution, mais elle a le plus souvent déclenché de larges polémiques parce qu'elle a été toujours traitée sous un angle idéologique, selon les dires de Wadi Mzid, directeur à la Banque Zitouna, dans son étude autour du thème. «Chaque fois que j'évoque le terme finance islamique, ça passe rarement inaperçu. Il s'agit pour les uns de pure démagogie, de jeux de mots, voire d'une tentative de retour en arrière par des pratiques médiévales incompatibles avec la modernité. Pour les autres, il s'agit d'un concept sacré faisant partie du culte et qui doit être le seul système en place dans les pays musulmans» , ajoute-t-il. Lors de cette conférence, Nabil Ghalleb, président-directeur général de Zitouna Tamkin, première institution de micro-finance en Tunisie qui adopte l'approche de la capacitance économique à travers les instruments de la finance islamique, souligne que c'est le moment ou jamais de penser à cette question, de chercher des solutions efficaces en vue de financer les entités ou les structures qui travaillent dans l'économie sociale et solidaire. Aujourd'hui, il y a une problématique de financement assez prononcée. Les estimations de l'argent de l'aumône légale sont de l'ordre de 3.500 MDT par an, ce qui aiderait le pays et subvenir à nos besoins au lieu de s'orienter vers le FMI pour s'endetter encore plus. Le secteur de l'économie sociale et solidaire est très important avec un énorme potentiel et une grande valeur ajoutée. En Europe, les emplois créés par l'économie sociale et solidaire s'élèvent à 28 millions de postes, ce qui constitue 12,9% du PIB contre 20 mille seulement en Tunisie, c'est-à-dire 0,5% du PIB, explique-t-il. Appuyer les efforts du gouvernement Un projet a été déposé au gouvernement depuis 2017 en vue de créer une institution pour gérer l'argent de l'aumône légale et financer des microprojets en faveur des populations vulnérables, mais ce projet est resté sans suite. Aujourd'hui, on a besoin de cette institution pour éviter les conflits et assurer une bonne gouvernance. A cet effet, il faut que cette structure soit sous le contrôle de l'Etat et on a déjà proposé qu'elle soit sous la tutelle du ministère des Affaires sociales, précise encore M. Nabil Ghalleb. Il y a urgence, aujourd'hui, de mettre en place un cadre juridique afin de mieux exploiter et orienter les recettes de l'aumône vers les populations vulnérables. Le nombre de pauvres en Tunisie est estimé à 1 million 694, selon l'Institut national de la statistique. Ces pauvres attendent beaucoup de la révolution et l'aumône légale leur offre aujourd'hui une solution idoine, a affirmé pour sa part, Ezzeddine Khouja, directeur général de la Banque Zitouna. Certes le gouvernement a présenté moult solutions en vue d'éradiquer la pauvreté mais ses efforts demeurent insuffisants. La Zakat peut aider à relever le défi de la lutte contre la pauvreté et le chômage en Tunisie, et ce, dans le cadre d'une institution gouvernementale bien appropriée. Pourquoi se pencher sur le projet de loi organique relatif à la création du programme «Amen Social» pour la promotion des catégories pauvres et à revenu limité, sans pour autant impliquer l'aumône légale dans ce processus, s'est demandé M. Khouja. Institutionnaliser pour mieux sécuriser Le directeur général de la Banque Zitouna a appelé à adopter une loi organisant les recettes de la Zakat dans un cadre institutionnel en Tunisie à l'instar d'autres pays musulmans afin de contribuer à l'essor économique. Mais c'est un défi qu'il faut relever. On doit poser des garde-fous pour mettre les gens en sécurité, en plus de la mise en place d'une équipe crédible et bien représentative (composée par des membres de la société civile et du gouvernement) à même d'accomplir sa mission dans la transparence. 250 mille familles nécessiteuses perçoivent des aides du ministère des Affaires sociales, selon les statistiques de 2017 émanant de ce ministère. Toutefois, l'aumône légale peut apporter une aide sociale importante à cette frange de la population, a de son côté précisé l'expert-comptable, Mohamed Achraf Boudeya. La Zakat, l'un des cinq piliers de l'Islam, veut se placer aujourd'hui comme un facteur de développement de l'économique solidaire et d'inclusion de la population vulnérable. Il y a nécessité de mettre en place un cadre juridique réglementant et institutionnalisant l'aumône légale. Le message a été transmis au gouvernement par la majorité des participants à ce séminaire.