Jusqu'ici, peu de choses ont été conçues par nos autorités pour parer au plus pressé et avec l'efficience requise, hormis la promulgation de la nouvelle loi antiterroriste. Le renseignement, le grenouillage, l'espionnage et le contre-d'espionnage demeurent le parent pauvre de ce combat à armes inégales. L'ouverture d'ambassades et de consulats en Syrie et en Libye notamment est impérieuse, voire vitale, à cet effet Les chiffres sont, certes, approximatifs, mais ils n'en constituent pas moins de sérieux indicateurs. Ceux avancés par le dernier rapport du centre Soufan (groupe de réflexion américain spécialisé dans les questions sécuritaires) sont alarmants. A l'en croire, le retour en Tunisie d'au moins 2.962 terroristes résidant dans les zones contrôlées par le groupe dit Etat Islamique en Irak et en Syrie (Daech) représente un «défi énorme pour la sécurité» de la Tunisie. Le rapport est minutieux : «Jusqu'à présent, au moins 5.600 citoyens ou résidents de 33 pays sont rentrés chez eux. Il faut y ajouter un nombre indéterminé venant d'autres pays. Cela représente un défi énorme pour la sécurité et pour les services de police». Et d'ajouter : sur «la cohorte de plus de 40.000 étrangers venant de 110 pays ayant afflué pour rejoindre l'EI avant et après la proclamation du califat en juin 2014 (...), il est inévitable que certains resteront attachés à une forme de jihad violent popularisé par l'EI et Al-Qaïda». Il faut savoir qu'avant ses derniers revers spectaculaires, Daech avait proclamé le «califat», à Mossoul au nord de l'Irak, sur une vaste zone entre la Syrie et l'Irak, avec une superficie égale à celle de l'Italie, s'étendant sur un peu plus de 300.000 km carrés. Ladite zone totalisait plus de sept millions d'âmes, entre les provinces d'Al-Anbar, Babel, Salahuddine et Ninive en Irak et dans les régions de Raqqa et Deir Ezzor principalement en Syrie. Les Irakiens avaient commencé la contre-offensive dans les provinces d'Al-Anbar, Babel et Salahuddine. Ils avaient d'abord libéré la vaste province Al-Anbar (138.501 kilomètres carrés), avec ses villes symboles de Falluja et Ramadi, avant de s'attaquer aux autres provinces occupées par Daech. En octobre 2016, les Irakiens avaient lancé l'offensive dans la province de Ninive, avec ses fiefs de Mossoul, où Daech avait proclamé son «califat», et Tel Afar (voir le reportage de notre envoyé spécial en Irak Soufiane Ben Farhat, intitulé «Ninive nous voilà !» La Presse 28 octobre 2016). Aujourdhui, l'offensive sans pareille menée par les forces irakiennes et syriennes, appuyées par les Américains et les Russes, a fait perdre à Daech 85% des territoires qu'il occupait. Terroristes tunisiens tués, aux abois, tapis dans l'ombre... Il est notoire que la conjonction de plusieurs données a favorisé l'émergence des Tunisiens en tant que l'une des principales factions des bataillons terroristes enrôlés sous les différentes bannières terroristes en Irak et en Syrie. Près de trois mille d'entre eux auraient été tués, sur les quelque six mille Tunisiens enrôlés principalement dans les organisations terroristes de Daech, Al-Nosra et Jund-al-islam. Le nombre élevé des pertes dans leurs rangs s'expliquerait, d'après des sources sécuritaires opérant en Syrie et en Turquie, «par leur grande détermination corollaire de leur infinie cruauté». Les recoupements des chiffres permettent d'identifier un potentiel résiduel de quelque trois mille Tunisiens opérant encore dans les rangs de la nébuleuse terroriste. Aux dernières nouvelles, recueillies auprès de sources sécuritaires fiables en Turquie et Syrie, sept cents d'entre eux se trouveraient encore dans la région de Deir Ezzor en Syrie, une vaste province de 33.060 kilomètres carrés appelée précisément Al badiya (la campagne). Les résidus de Daech et de Jund-al-islam y mènent les derniers combats de la nébuleuse terroriste aux abois. Dès lors, la question s'impose : où sont passés les autres terroristes tunisiens, soit près de 2.300 combattants bien entraînés, fanatiques jusqu'à la moelle, cruels et déterminés à en découdre avec la Tunisie et les Tunisiens ? Aux termes de notre enquête, nombre d'entre eux auraient regagné la Libye, le Mali et le Sahara via principalement la Turquie et la Libye. Il faut savoir que la promulgation, l'année dernière, de la nouvelle loi antiterroriste a dissuadé plusieurs terroristes tunisiens de regagner directement le pays, comme ce fut le cas auparavant avec près de 800 d'entre eux. Parce que, désormais, ils encourent de très lourdes peines de prison rien que pour avoir été enrôlés en Syrie, Irak et ailleurs, ce qui n'était guère le cas avant la promulgation de la loi antiterroriste. Regagner la Libye, le Mali et le Sahara via la Turquie est possible pour eux, sous le couvert de l'anonymat ou moyennant des papiers d'identité et autres passeports falsifiés ou trafiqués. Daech, particulièrement soucieuse de territorialisation, envisage en fait de s'implanter désormais dans la région saharienne, aux abords des cinq pays du Maghreb, du Soudan, de l'Egypte, du Tchad, du Niger, du Mali. De cette vaste région s'étendant sur 8.600.000 kilomètres carrés et limitrophe de dix pays, Daech escompte faire la jonction avec les organisations terroristes y opérant déjà, telles Al-Qaïda au Maghreb, Ansar Eddine, Boko Haram et bien d'autres. Pour s'y rendre, les préférences des terroristes tunisiens vont pour les cinq compagnies aériennes libyennes desservent la Libye à partir de la Turquie : Allibiyya, Alifriqiyya, Ghdamès, Alajnihah et Alburaq. Leurs principaux points de chute sont Tobruk, Miitiga et Mosrata. D'autres destinations et voies d'acheminement des terroristes sont utilisées. Ainsi, certains terroristes tunisiens sont-ils exfiltrés en Europe centrale et occidentale via la ville d'Izmir, second plus important port de Turquie, la mer Egée et la Bulgarie. Ils rejoignent les rangs des cellules dormantes terroristes opérant en Europe occidentale, moyennant l'implication ou le laxisme de certains services secrets, notamment turcs. C'est dire que le danger des cellules dormantes et autres groupuscules isolés demeure une donne essentielle menaçant la sécurité des Tunisiens et d'autres peuples. Jusqu'ici, peu de choses ont été conçues par nos autorités pour y parer au plus pressé et avec l'efficience requise, hormis la promulgation de la nouvelle loi antiterroriste. Le renseignement, le grenouillage, l'espionnage et le contre-espionnage demeurent le parent pauvre de ce combat à armes inégales. L'ouverture d'ambassades et de consulats en Syrie et en Libye notamment est impérieuse, voire vitale, à cet effet. Mais nos politiques somnolent encore à ce propos s'ils ne se contentent de bayer aux corneilles. Les dangers, eux, sont bien réels. Et, on ne le redira jamais assez, un pays averti en vaut deux.