La polémique sur l'égalité successorale gagne les cheikhs de la Zitouna qui se réveillent, enfin, de leur torpeur et disent à Caïd Essebsi qu'ils ont leur mot à dire. Youssef Chahed continue sa bataille contre la corruption en faisant jouer le beau rôle à la justice On parle, depuis le 13 août, date du discours sur l'égalité successorale et le mariage de la Tunisienne avec un non-musulman, de la reconfiguration du paysage politique national, laquelle reconfiguration était devenue inévitable à la suite de l'interview accordée le 1er août par Rached Ghannouchi à Nessma TV. Avant que le président Béji Caïd Essebsi ne célèbre la fête de la Femme comme au bon vieux temps en accordant aux femmes tunisiennes ce qu'elles voulaient depuis Bourguiba et Ben Ali, c'est-à-dire hériter à parts égales avec leurs frères, la classe politique et les organisations de la société civile étaient concentrées sur les déclarations de Ghannouchi qui demandait ou «ordonnait» à Youssef Chahed de ne pas se porter candidat à l'élection présidentielle de 2019. La bombe lâchée par Ghannouchi a failli faire imploser la tente nahdhaouie qu'on croyait soudée et homogène dans la mesure où des barons du parti comme Abdellatif Mekki, Mohamed Ben Salem, Abdelhamid Jelassi et Samir Dilou sont sortis de leurs gonds pour accuser leur président d'avoir commis «une erreur médiatique inadmissible et qu'il était temps que Ghannouchi change sa manière de diriger le bureau exécutif et arrête de nous surprendre par des décisions ou des annonces que nous découvrons comme tout le monde à la TV». Heureusement pour Ghannouchi qui commençait à en avoir ras-le-bol de ses enfants prodigues, en voulant se réapproprier la scène politique et reprendre l'initiative, le président de la République a tendu, sans le savoir, une perche de salut à son allié ou partenaire du consensus issu du ‘‘Pacte de Paris''. Aujourd'hui, tous les ténors du parti de Montplaisir parlent le même langage et débitent un discours qui reprend pratiquement les mêmes termes chez les uns et les autres. «Le président Béji Caïd Essebsi a le droit de proposer n'importe quelle initiative législative. C'est la Constitution qui le lui permet. Sauf qu'il est obligé de veiller à ce que la Constitution ne soit pas bafouée. Et l'appel à institutionnaliser l'égalité successorale est contraire à la Constitution», soulignent les responsables d'Ennahdha, en ajoutant qu'ils ne sont pas opposés à la discussion des propositions du chef de l'Etat, mais à condition que la Constitution soit respectée. Et ils ajoutent : «Le président de la République a le droit de choisir les personnalités qu'il veut pour composer la commission des libertés individuelles et de l'égalité. Sauf que ceux et celles qu'il a déjà choisis ne représentent pas tous les Tunisiens». Youssef Chahed ne ménage personne, mais... En attendant que Ghannouchi revienne de ses vacances à l'étranger et pousse le Conseil de la Choura à adopter une position officielle sur le projet de l'égalité successorale (jusqu'ici tous ceux et celles qui ont commenté l'initiative présidentielle parlent en leur nom personnel et leurs positions n'engagent pas le parti), branle-bas, hier, du côté des hommes de culte tunisiens qui se sont rappelés l'existence «du Conseil islamique supérieur» qu'il faut réactiver pour se prononcer. L'université de la Zitouna considère «l'initiative du président de la République comme contraire aux dispositions de la Constitution» et l'appelle, à travers deux associations (l'Association des imams pour la modération et la lutte contre l'extrémisme et l'Association du comité des cheikhs de Tunisie) à la retirer purement et simplement. Seulement, ceux qui ont pris l'habitude de se précipiter pour dire que les deux cheikhs (Ghannouchi et Caïd Essebsi) font pratiquement l'actualité nationale qu'ils se consultent avant de faire une déclaration quelconque ou que chacun d'eux agisse unilatéralement, doivent se rendre à l'évidence et comprendre que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, continue à peser de tout son poids sur la scène politique nationale, même si les partis censés le soutenir tergiversent encore et montrent, ces derniers jours, qu'ils ont des priorités plus importantes (la préparation des listes aux élections municipales) que celle de combattre quotidiennement la corruption. En acceptant, hier, la démission de Fadhel Abdelkéfi de son poste de ministre des Finances, par intérim, et de l'Investissement extérieur, Youssef Chahed a introduit une nouvelle donne politique qui fera date dans l'histoire de la classe politique tunisienne : un ministre poursuivi par la justice démissionne, se met à la disposition de la justice, défend ses intérêts et sa réputation et quand il est lavé par la justice, il reprend ses fonctions et achève la mission pour laquelle il a été choisi par le chef du gouvernement. Hier, Youssef Chahed a été clair et net : «Fadhel Abdelkéfi est une grande compétence nationale. Il quitte le gouvernement pour répondre devant la justice des accusations qu'on lui porte. Il a fait beaucoup pour la Tunisie». Le message de Youssef Chahed surprend plus d'un parmi ceux qui ne sont pas alignés jusqu'ici sur les pratiques normales dans les régimes démocratiques. Dans ces régimes, il n'y a pas d'inquisition, de chasse aux sorcières et d'arrestation d'un gros poisson quotidien pour épater la galerie. Quand on décide de débusquer les corrupteurs et les corrompus, on a recours à la loi et on fait travailler les magistrats pour qu'ils exercent leurs fonctions en distinguant le bon grain de l'ivraie.