Par Maître Med Laïd LADEB* L'emprisonnement de quelques «hommes d'affaires» corrompus a mis l'écrasante majorité du peuple tunisien à l'aise. Non pas par vindicte sociale, ni par haine gratuite, le peuple tunisien a donné la preuve à maintes reprises que son fond est amour, tolérance et pardon, mais ce que vient de réaliser, ces derniers jours, M. Youssef Chahed, chef du gouvernement, est la preuve irréfutable qu'une nouvelle approche du pouvoir est née en Tunisie, celle de la clarté, de la fermeté et de l'honnêteté. Depuis le 14 janvier 2011, toutes les couches sociales, sans distinction, ont attendu et attendent encore la cristallisation, la concrétisation et la mise en œuvre d'un des plus grands slogans scandés par nos martyrs lors des sombres journées de décembre 2010 et janvier 2011. Non à l'oppression. Non à la corruption. Depuis que le monde est monde, depuis le fameux manifeste de Platon «La République» et les écrits des grands philosophes du 18e siècle, et la célèbre Moukadima d'Ibn Khaldoun, la corruption est l'autre face «cachée» de l'oppression. Elle est sa sœur jumelle, docile, silencieuse et vorace. Alors que l'oppression manipule ses armes nuit et jour, et qui ne sont que les bastonnades, les grenades lacrymogènes, les emprisonnements et autres, la corruption manie les mêmes armes mais de façon plus camouflée, oserais-je dire plus «feutrée» en faisant briller à tous ses serviteurs tous les biens matériels rêvés, argent, voitures de luxe, appartements richement meublés et filles bien pomponnées. Depuis l'arrivée de Youssef Chahed au pouvoir, le pays a l'impression qu'il a trouvé enfin «son guide». Sans jeter des fleurs à quiconque et loin des tergiversations d'autres hommes politiques, nous pouvons dire que nous sommes en présence d'un homme pour qui la clarté, la franchise et l'honnêteté ont leurs poids en or. Des vertus qui font défaut presque dans tout le monde arabo-islamique. La Tunisie a encore ce privilège d'élever l'étendard de la clarté dans le système de gouvernement ou de gouvernance en général. Les premiers pas franchis, le peuple tunisien attend que le gouvernement Youssef Chahed aille vraiment de l'avant. Tous les coins et recoins où les mafiosi pullulent doivent être «mis en examen». Avec la corruption et les corrompus, point d'autre langage valable que celui de la force et la force de la loi. Certains oublient que la «corruption», ce fléau inhumain, rétrograde et sanguinaire est une véritable maladie. Elle est le cancer du tissu social, quand elle attaque une société, elle la dévisage, elle l'appauvrit, la vide de toute substance, de toute vie. Elle constitue la «mort annoncée» de tout tissu social atteint par ses griffes, comme l'a déjà annoncé une fois M. le président de la République, Béji Caïd Essebsi, que la Tunisie est sous «protection divine», cette idée est partagée par de nombreux intellectuels et penseurs arabes. Dans son célèbre livre «La personnalité et le devenir arabo-islamique» (éd. du Seuil 1974), M. Hichem Djaït s'attache à dégager les traits essentiels du «portrait mental» de l'arabo-musulman, plus particulièrement le Maghrébin. A ce titre, M. Abou Filali Ansary relève dans son «Hichem Djaït ou la tyrannie du paradigme» (dans «Penseurs maghrébins contemporains»-collectif - Ceres édition p. 117) que «la croyance à un destin tracé d'avance par la volonté de Dieu trouve évidemment des fondements plus explicites dans la région, etc.». Qu'on le veuille ou non, dans sa paisible méditation, l'histoire de la Tunisie nouvelle retiendra que M. Béji Caïd Essebsi, appelé par M. Foued Mbazaâ, alors président de la République par intérim, a sauvé l'Etat tunisien du dépérissement et de l'anarchie en tant que Premier ministre du premier gouvernement de l'après-14 Janvier. L'histoire retiendra aussi qu'après une longue attente, de rudes hésitations et une perte de temps inestimable, M. Youssef Chahed a décidé d'agir. C'est seulement maintenant que je pense que les événements du 17 décembre-14 janvier 2011 sont dignes d'être appelés «révolution» à condition que l'œuvre de nettoyage du tissu social tunisien des corrompus et de la corruption soit bien menée à terme. Il y va de l'autorité de l'Etat tunisien et il y va aussi de la légitimité du gouvernement de Youssef Chahed. L'heure n'est plus à la «politique politicienne». Que certains hommes politiques touchés de près ou de loin par cette maladie qu'est la corruption aient le digne respect d'eux-mêmes et se retirer volontairement de la vie politique. Le mea culpa est nécessaire. Il n'est pas suffisant. Quand il s'agit de deniers publics, la réparation est obligatoire. Le mal de la corruption n'a pas commencé par M. Chafik Jarraya ou ses autres complices. Depuis l'avènement du 14 Janvier, la corruption a pris des allures abracadabrantes et même kafkaïennes. Des soi-disant révolutionnaires «pataugent dans les eaux troubles de la corruption. Il s'agit de mettre au courant le peuple tunisien des dessous et des aboutissements de l'affaire de M. Rafik Abdessalem et son tristement célèbre Sheratongate. Il s'agit de dévoiler le secret des milliards versés à la Tunisie lors du pouvoir de la triste Troïka et qui se sont volatisés par les coups de bâton magique du pouvoir marié à la corruption. Il faut qu'il y ait auprès de Youssef Chahed des hommes forts qui n'ont pas froid aux yeux. L'heure n'est plus aux calculs bassement politiques de certains sans foi ni loi. Le peuple tunisien a trop attendu. C'est l'heure de dévoiler le secret des véritables assassins de nos deux grands martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Il est temps aussi que les auteurs des tristes événements du gouvernorat de Siliana et des attaques du siège de l'Ugtt un certain 9 avril 2013 soient connus et poursuivis en justice. Pour paraphraser cet immense tribun politique qu'était Jean Jaurès, je dirai à M. Youssef Echahed, «dans ces heures si pleines, si prodigieussement concentrées, où les minutes valent des siècles»(1), vous avez entrouvert les portes de la véritable révolution tunisienne. Vous n'avez plus le droit de vous démarquer des vraies aspirations du peuple tunisien. Il n'est pas exigé, pour être un révolutionnaire, de lire et mettre en pratique Marx ou Lénine, mais il suffit d'agir, de s'attacher et de croire aux véritables valeurs humaines chantées depuis le siècle des Lumières jusqu'à nos jours : liberté, justice sociale et dignité humaine ne sont-elles pas ces valeurs affichées, un certain vendredi 11 janvier 2011, par nos jeunes et nos moins jeunes ? N'oubliez pas surtout que nous sommes, vous et moi et la majorité du peuple tunisien, encore en vie. Certains ont payé cher le fait de crier ces beaux slogans. En pleine jeunesse, ils ont perdu leur vie. Tant que la corruption n'a pas été vaincue et tant que la justice sociale n'a pas déployé ses ailes sur nos belles cités, leur sang demeure accroché à notre mémoire et à votre conscience en tant que chef de gouvernement comme la marque de fer rouge subie par les forçats d'antan. Vous n'êtes pas le seul à affronter cette responsabilité. Tous les premiers chefs de gouvernement et leurs ministres doivent se sentir responsables, au cas où votre exaltante chevauchée contre les corrumpus et la corruption viendrait à échouer. Casamayor dans les «Juges» (p.77) disait que «le procès des vivants, c'est la justice, le procès des morts, c'est l'histoire». * (Avocat à la Cour de cassation) 1 - Voir Justice et politique, par Robert Charvin, éd. L.G.D.J 1968 Introduction