Quand les politiciens que nous avons découverts, à la faveur de la révolution, se mettent à philosopher, bonjour les catastrophes. Et du fond du palais du Bardo, symbole de la souveraineté nationale, on appelle à fouler aux pieds cette souveraineté chèrement payée par les Tunisiens et les Tunisiennes Quand la confusion s'impose sur le paysage politique national comme une règle de conduite générale, quand la surenchère à caractère politicien n'a plus de limites et quand nos politiciens décident de se livrer une guerre d'existence, il n'est plus étonnant que sortent les appels à la destruction de l'Etat de l'enceinte même qui représente la souveraineté nationale : l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), l'espace où les députés ont la responsabilité de tout faire pour que cette souveraineté chèrement acquise lors du mouvement de libération nationale et aussi chèrement reconquise par la grâce de la révolution de la liberté et de la dignité soit préservée à tout prix. Malheureusement, c'est au cœur de ce temple de notre souveraineté qu'on appelle le peuple à la désobéissance civile dans le but de faire chuter le gouvernement et de bloquer toutes les institutions de l'Etat pour la simple raison qu'un projet de loi ne plaît pas à ceux qui le refusent. Tous ceux qui ont combattu la France coloniale et tous ceux qui ont connu les prisons de Ben Ali et de Bourguiba pour que fleurissent la démocratie et la liberté devraient avoir eu froid dans le dos quand ils ont entendu Samia Abbou, la députée du Courant démocratique, exhorter les Tunisiens du haut de la tribune du palais du Bardo à descendre dans la rue, à occuper les places publiques et à déclarer la désobéissance civile pour que le projet sur la réconciliation nationale ne passe pas et ne soit pas voté par les députés. Et la stupéfaction de briser les cœurs des Tunisiens qui aiment la Tunisie quand ils voient le président de la séance plénière se comporter le plus normalement du monde comme si Samia Abbou avait exhorté, par exemple, le ministre des Communications à accélérer l'ouverture d'un bureau de poste à Amdoun ou à Sidi Ali Ben Nasrallah. Les députés aussi, qu'ils appartiennent à la coalition au pouvoir (la nouvelle Troïka comme l'appelle désormais Mohsen Marzouk, président de Machrou Tounès) ou à l'opposition avec ses diverses tendances, n'ont pas bronché et personne n'a pris la parole pour rappeler la députée en question à l'ordre ou au moins pour enregistrer une position qui sera inscrite dans les annales du Parlement. Et le processus de prendre de l'ampleur quand les médias ont décidé de suivre l'affaire et de poser la question au père de l'appel, Mohamed Abbou, le fondateur du Courant démocratique, et à Ghazi Chaouchi, le secrétaire général du même courant: comment va s'opérer la désobéissance civile à laquelle ils appellent les Tunisiens ? Pour qui roulent-ils ? Mohamed Abbou, ancien compagnon du président intérimaire Moncef Marzouki et ancien ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative de Hamadi Jebali, et qui répète quotidiennement que Hamadi Jebali l'a obligé à démissionner en refusant de le laisser assainir l'administration publique et faire comparaître les corrompus du régime de Ben Ali par-devant la justice, explique son appel à la désobéissance civile : «Il est normal que le peuple descende de nouveau dans la rue, dénonce les pratiques du gouvernement Youssef Chahed qui ne fait qu'encourager la corruption et récompenser les corrompus qui sont aujourd'hui aux plus hauts postes de l'Etat et bénéficient de la protection du gouvernement. Et quand je parle de désobéissance civile, je parle du droit absolu des Tunisiens à chasser ceux qui ont confisqué leur révolution et leur ont volé leur droit à la dignité et à l'emploi». Un discours repris, hier matin, par Ghazi Chaouachi, député et secrétaire général du Courant démocratique. En répondant aux questions de l'animateur de Shems FM, il a essayé par tous les moyens de convaincre les auditeurs que la désobéissance civile ne signifie pas atteinte à la souveraineté nationale ou recherche de bloquer les institutions de l'Etat ou de semer la gabegie ou le désordre dans la rue. Pour Ghazi Chaouachi, il s'agit «d'un acte citoyen de protestation pacifique contre la politique mafieuse du gouvernement Chahed qui s'enlise de jour en jour dans la corruption et la malversation». Sauf que Ghazi Chaouachi oublie de préciser que la désobéissance civile, en tant qu'acte de protestation citoyen pacifique, est exercée généralement sous les régimes dictatoriaux et répressifs. Les observateurs approchés par La Presse pensent que «les politiciens tunisiens et les acteurs de la société civile ne finiront jamais de nous surprendre quotidiennement. Et quand Sihem Ben Sedrine décide de réécrire l'histoire de la Tunisie et invite les historiens à puiser dans les documents de son instance pour rectifier les fautes qu'ils ont commises dans leurs études sur le mouvement national, il n'est plus étonnant de voir Samia Abbou, Ghazi Chaouachi ou Mabrouk Hrizi philosopher et nous indiquer la voie à suivre pour sauver le pays». Qu'est-ce que la désobéissance civile ? On parle de désobéissance lorsque des citoyens mus par des motivations éthiques transgressent délibérément de manière publique concertée non violente une loi en vigueur pour exercer une pression visant à faire abroger ou amender ladite loi par le législateur (désobéissance civile directe) ou à faire changer une décision politique prise par le pouvoir exécutif (désobéissance civile indirecte).