Avoir une responsabilité limitée dans l'émission de gaz à effet de serre ne nous empêche pas de faire partie de la solution, a relevé le Pr Yadh Labbene au cours d'une récente conférence sur les effets du changement climatique Les changements climatiques ont été au centre d'une conférence tenue récemment à la Cité des Sciences et au cours de laquelle le Pr Yadh Labbene, consultant dans le domaine du changement climatique, a donné un exposé visant à clarifier les réalités locales afin de faire face de façon efficace aux menaces qui pèsent sur l'environnement en Tunisie et sur la planète entière. Il a annoncé d'emblée que la prise en considération des changements climatiques à l'avenir dans les politiques et les stratégies nationales représente, à la fois, un enjeu sectoriel, institutionnel et organisationnel. «L'impact des changements climatiques se ressentira surtout sur le littoral côtier, les ressources en eaux, l'agriculture». Les solutions envisagées pour faire face à la vulnérabilité engendrée par les changements climatiques s'articulent autour «des capacités adaptives» qui représentent un mécanisme permettant de faire face à la vulnérabilité des systèmes biologiques en atténuant les dommages causés par les changements climatiques, a expliqué le conférencier. «L'exposition aux risques des changements climatiques est conjugué aux capacités d'adaptation propres à chacun pour faire face aux risques». Il ne s'agit pas du seul mécanisme qui permet d'atténuer les effets des changements climatiques sur l'écosystème, a, par ailleurs, ajouté l'expert. «L'exposition» et «la sensibilité» sont des outils qui permettent également aux experts de surveiller l'élévation du niveau de la mer, causée par le réchauffement climatique et de gérer les eaux pluviales. De bonnes adaptations pour une meilleure résilience La résilience est la capacité pour un système social ou écologique de faire face aux perturbations par une adaptation et conservation sans altérer la structure et son fonctionnement, poursuit le Yadh Labbene. L'adaptation permet en réduisant la vulnérabilité d'atténuer les dommages, de saisir des opportunités. Elle consiste en «l'ajustement des systèmes biologiques, sociaux et économiques en réponse aux effets des stimulus climatiques». Elle peut être soit autonome et réactive soit préventive et proactive pour faire face aux risques des changements climatiques. «Pour ma part, je préfère le soft car le préventif est plus efficace que le réactif», rétorque Pr Labbene. Dans tous les cas, l'adaptation se décline soit en «soft», ce qui suppose que des mesures souples soient adoptées dans le cadre d'un arrangement commun entre les ministères, soit en «hard». Elle se traduit, dans ce cas, par des mesures plus rigides. μRareté de l'eau et accroissement de la demande On enregistre, en Tunisie, un volume moyen annuel d'eau de surface estimé à 2.700 millions de m3. Mais il y a une très grande variabilité de la disponibilité en eau en fonction de la pluviométrie. Les récentes données qui ont été enregistrées sur les ressources en eau ont montré, qu'une année sur deux, le volume moyen annuel d'eau est inférieur à 2.230 millions de m3. Une année sur cinq, le volume descend en moyenne à 1.500 millions de m3. Les experts ont constaté, par ailleurs, que ce volume baisse en dessous de 1.250 millions de m3 par an une année sur dix, a affirmé le conférencier. «Le niveau disponible est inférieur à 500 m3 par an et par habitant en Tunisie. Il indique que l'équilibre est particulièrement fragile. Il faut comprendre que la demande en eau ne doit pas être supérieure à la superficie exploitable». Selon les prévisions qui ont été établies, la demande en eau est en train de croître et devra atteindre respectivement 2.721 et 2760 millions de m3 en 2020 et 2030 alors qu'elle était de 2.689 millions de m3 en 2010. Le programme eau, développement et climat en Afrique (projet Wacdep novembre 2016) présente des cartes de la Tunisie selon l'usage de l'eau. Des villes comme Kairouan ou Kasserine rencontrent un problème d'accès à l'eau et sont les plus vulnérables du pays. La culture céréalière et l'arboriculture sont potentiellement sensibles aux aléas et aux effets des changements climatiques. L'arboriculture, qui est la culture des fruits avec pépins comme les pommes, les poires ou avec noyaux tels que les pêches, les abricots, est plus sensible au changement climatique qui risque d'affecter la production que l'oléiculture qui présente de fortes capacités d'adaptation aux fluctuations climatiques. Le littoral tunisien dans tous ses états Le littoral tunisien étouffe car il constitue le poumon économique du pays avec une concentration de 70% des unités industrielles et 90% des unités touristiques. Il englobe notamment le 2/3 de la population tunisienne et subit une forte pression humaine. Il demeure vulnérable au changement climatique et est exposé à une élévation du niveau de la mer hormis la côte nord de Tabarka et Rass Ettarf qui regorgent de falaises moyennes et hautes qui sont des barrières efficaces contre l'érosion et l'avancée de la mer. «Le lac de Bizerte, de Tunis, les plages de Hammamet et du Sahel et les aires insulaires ont été étudiés avec des hypothèses de référence hautes. Il ne faut pas dramatiser les résultats obtenus», a indiqué le conférencier. La superficie des espaces envahis par la montée des eaux dont le niveau s'est élevé de 0.50 m représente 6.440 hectares. A titre d'exemple, les îles de Kerkennah qui s'étendent sur une superficie de 7.000 ha sont menacés d'engloutissement. Des plages menacées de disparition et d'autres récupérables cristallisent certaines inquiétudes. Un éminent professeur d'âge respectable et de renommée internationale, présent à cette conférence, s'inquiète. «A l'horizon 2100, si rien n'est fait, une ville comme Sousse serait rasée de la carte avec une élévation du niveau de la mer de 5 mètres et Tunis croulera sous les eaux !». Chose que nuancera fortement Pr Labbene qui a expliqué que, selon les études qui ont été réalisées sur cette question, l'élévation graduelle du niveau de la mer qui a été enregistrée est de 50 cm «ce qui n'est pas inquiétant». Pr Labbene poursuit son raisonnement : «Le domaine du changement climatique est transversal avec une forte consommation d'énergie. Le financement de 70% des hydrocarbures provient des caisses de compensation quand bien même le futur est aux énergies renouvelables !». Il a également mis en avant la stratégie nationale en place depuis 2012 pour limiter l'impact négatif des changements climatiques qui génèrent certaines pathologies allant des maladies à transmission hydrique, celles à transmission vectorielle, du système respiratoire et celles liées à l'exposition au soleil. «Le ministère de l'Environnement et des Affaires locales doit jouer le rôle de leadership !», a ajouté le conférencier. Clash générationnel jeunes-senior A la fin de l'exposé de l'expert, un débat houleux a eu lieu entre jeunes et seniors dans l'assistance, mettant à nu les divergences d'intérêts. De jeunes chercheurs en chimie et des étudiants ont reproché à leurs collègues du domaine plus âgés et expérimentés d'avoir laissé un legs lourd et de ne pas avoir traité la question au cours des années écoulées. Un ingénieur agronome, originaire de Siliana, s'indigne de la gestion des affaires environnementales en Tunisie. «La récupération politique des enjeux liés au développement durable et l'instauration d'une loi par l'Ugtt, l'Utica et l'Utap présente un grand décalage avec la réalité. Ces acteurs se permettent d'intervenir sur des projets en relation avec la réduction de l'impact des changements climatiques alors qu'ils n'ont rien à voir avec l'environnement !».