, En Tunisie comme ailleurs, on a fêté hier, 22 mars, la Journée mondiale de l'eau, placée cette année par l'ONU sous le signe «Pourquoi gaspiller de l'eau ?». Sous nos cieux, la question peut être posée autrement : y a-t-il, sérieusement, des menaces de pénuries d'eau ? Dans la foulée, une conférence de presse s'est tenue, hier matin, au siège du Ftdes à Tunis, au cours de laquelle l'association «Nomad 08» a tiré la sonnette d'alarme sur un état du stress hydrique assez critique. Selon le rapport annuel de l'Observatoire tunisien de l'eau (OTE), 2016 était, sans conteste, celle de tous les records. Chiffres à l'appui, l'on a enregistré, l'été dernier, quelque 900 réclamations d'interruption d'approvisionnement en eau potable, 685 alertes de coupures d'eau sans préavis, 60 fuites dans les réseaux de distribution de la Sonede. Ce constat de perturbations successives n'a pas été sans suites fâcheuses : « 110 mouvements de protestation ont été alors observés, principalement dans les régions de Gafsa, Kairouan et Sidi Bouzid». Mais, la crise de l'eau n'a pas épargné le reste du pays. Le nord-ouest, le château d'eau de la Tunisie, a été, lui aussi, gravement touché. Son trop-plein semble être réduit au-dessous de la moitié. Et nos réserves à l'échelle nationale s'annoncent au rouge. Le président de l'OTE, M. Alaa Marzougui, a fait porter la responsabilité au ministère de l'Agriculture et à la Sonede, cette dernière étant souvent pointée du doigt. Faut-il toujours lancer la balle dans le camp de l'Etat pour l'accuser de sa position passive face à la problématique de l'eau dont souffrent, au même titre, plusieurs villes et villages ? A vrai dire, le citoyen a également sa part de responsabilité, du fait qu'il se résigne, parfois, à agir en connaissance de cause. En cause, réticence à signaler une panne au réseau ou dénoncer certaines fuites d'eau quelque part. Et M. Marzougui d'ajouter que ce qui se passe dans les régions reflète bel et bien la crédibilité des statistiques recueillies. Preuve en est les témoignages des citoyens « victimes » de la pénurie d'eau en Tunisie. Et pour cause. « Les Kairouanais ne sont plus dans une situation confortable », ainsi se plaint le représentant du Ftdes dans la région, Radhouane Fatnassi. Pourquoi ? Son diagnostic hydrique n'est point rassurant, du fait que les potentiels de rétention effectifs dans les barrages d'El Houareb et de Sidi Saâd varient de zéro à très faible taux de stockage. Pénurie : la preuve par trois A Kairouan, le raccordement au réseau de la Sonede couvre, à peine, 40% des habitants, allant jusqu'à 20% seulement dans la localité d'El Ala. De même, a-t-il encore alerté, 300 sociétés avaient procédé à des forages arbitraires, creusant environ 3.000 puits profonds, ce qui est de nature à affecter la nappe phréatique. S'y ajoute le problème des groupements hydriques qui pèse lourd sur le rythme de vie au quotidien. De toute manière, le partage de l'eau s'est trouvé confronté à des difficultés d'ordre organisationnel, structurel et financier. Sur plus de 300 écoles, 178 parmi elles continuent à vivre difficilement en raison d'un faible débit d'eau. « Et la rareté des ressources hydriques ne cesse de s'amplifier d'une année à l'autre, sans que la Sonede bouge le petit doigt », dénonce-t-il, soulignant, en conclusion, qu'elle n'a aucune volonté de changer de sa politique d'intervention dans la région. La région de Tataouine se voit, elle aussi, connaître le même sort que Kairouan. « Elle souffre des mêmes problèmes hydriques. Pire, les activités pétrolières abusives ont été à l'origine de la pollution de l'eau », révèle M. Sami Aoun, activiste en environnement. Il a évoqué que ces sociétés d'exploration n'ont cessé de pomper de l'eau pour accroître leur production. Et là, les statistiques ont montré que 300 cas d'hépatite ont été signalés en ce début 2017. Autre témoignage édifiant, le stress hydrique que vit le bassin minier, Gafsa et ses environs. Universitaire spécialiste en développement durable, M. Houcine Hili s'est attardé sur l'état des lieux catastrophique dans lequel sombre la région. Outre les raisons purement naturelles liées aux conditions pluviométriques, l'intervention de la CPG (Compagnie des phosphates) sur nos réserves hydriques semble, à ses dires, être brutalement irrationnelle. « Elle consomme annuellement d'énormes quantités d'eau, soit sept fois plus les habitants de la région.. », déclare-t-il. Faut-il ainsi choisir : l'eau potable ou le phosphate ? Il est temps, suggère-t-il, de trouver d'autres solutions. Face à la rareté de l'eau douce, le dessalement lui paraît indispensable. Aussi, les barrages souterrains, recommande-t-il, font-ils partie de la solution ? Toute initiative de rationalisation est de mise. Et d'ajouter : « 450 millions m3 sont consacrés à l'eau potable dont 15% des pertes sur le réseau de la Sonede. Soit 10% des ressources mobilisées dans le pays». Alors que les fuites dans le secteur agricole sont estimées à 22%. Selon lui, l'absence d'une stratégie nationale a rendu la situation beaucoup plus complexe. Le président de l'Observatoire tunisien de l'eau a repris la parole pour rappeler des déclarations du secrétaire d'Etat à l'agriculture, selon lesquelles si coupures d'eau il y a l'été prochain, le gouvernement fera, alors, preuve d'échec. Et de conclure qu'il n'est pas question de procéder à la cessation de la Sonede, considérée comme un acquis national de taille. Dans son communiqué rendu public hier à l'occasion de la Journée mondiale de l'eau, l'OTE s'est exprimé en ces termes, « la Tunisie est assoiffée.. ».