Commencer l'exploitation d'un film dans les régions est toujours une démarche forte et juste car il y a là une tentative de contribution, même modeste, à lutter contre des inégalités qui tardent à être corrigées dans la vie culturelle. Mais dans le cas de Demain dès l'aube, qui est à la fois l'histoire d'une amitié et le portrait fébrile d'un pays hanté par ses fantômes à travers les destins croisés de deux jeunes femmes et un adolescent, dans une Tunisie qui oscille entre espoir et désillusion, ce choix prend encore plus de sens. «Tout créateur, au moment de diffuser son travail, espère contribuer à faire rayonner la culture en Tunisie, toute la Tunisie. Et même si une hirondelle ne suffit pas à faire le printemps, une sortie de film peut contribuer à changer pour quelques heures un quotidien et offrir à tous la possibilité d'un instant d'évasion et de réflexion», explique le producteur du film. Demain dès l'aube est une plongée dans la Tunisie diverse, ses couleurs, ses lumières, ses injustices et l'écho des voix de certaines de ses régions. L'action du film, dont la projection a eu lieu mercredi dernier, se situe en 2014 mais avec une plongée importante dans la fameuse nuit du 14 janvier 2011, nuit sans lois et de tous les excès avec son lot de drames, mais aussi de solidarité. Cette fiction, qui n'est en rien un film documentaire sur la révolution, est avant tout l'aventure de Zeineb, Elyssa et Houssine, trois jeunes que tout sépare et que rien ne prédisposait à se rencontrer. Et qui verront leurs destins irrémédiablement liés les uns aux autres par un événement tragique survenu lors de cette nuit fatidique. A partir de ce point de non-retour, nos personnages vont se voir précipités dans une quête qui les fera reconsidérer ce qu'ils pensaient savoir d'eux-mêmes et de leur pays. Ecriture faite d'un voyage entre deux temps, et histoire de parcours individuels pris dans les méandres de la grande Histoire, le film est une immersion dans différentes réalités tunisiennes, incarnées chacune par un ou plusieurs personnages. Mais tous reliés par des liens choisis ou subis qui entremêlent leurs vies et leurs destins. S'attachant à se tenir toujours à une juste distance, la réalisation embrasse plusieurs points de vue et montre une réalité complexe, sans manichéisme ni jugements simplistes. En montrant à quel point il est difficile de guérir individuellement et collectivement des blessures du passé. Demain dès l'aube est un film né d'une urgence. Celle de raconter un moment clé de l'histoire contemporaine tunisienne, que l'on pourrait nommer «restauration», avant que la réécriture officielle de l'Histoire et les rouages du système à l'œuvre n'achèvent totalement leur action au profit d'un ordre qui n'a rien de nouveau. Mais elle est née aussi d'une raison impérieuse, celle de tenter de rendre justice aux jeunes et principalement ceux issus des quartiers populaires, qui ont en grande partie accompli et payé le prix fort de la Révolution de 2011. C'est sur le paradoxe, qui voudrait que l'on punisse et sacrifie ceux qui vous ont aidés à accéder à la liberté, que se fonde Demain dès l'aube.