Juste la fin du monde, de Xavier Dolan : une vue panoramique sur une vie de famille comme les autres, et comme aucune autre. En salles à Tunis (Ciné Mad'Art et Amilcar) depuis le 5 octobre, Juste la fin du monde, de Xavier Dolan, est un grand moment de cinéma. Livré par un Canadien de 27 ans que l'on ne présente plus car non seulement auteur de six longs-métrages (le septième est en route) dont deux primés au Festival de Cannes mais surtout doté d'un grand talent, Juste la fin du monde n'en est qu'une preuve de plus. Une fiction adaptée d'une pièce de théâtre éponyme, écrite en 1990 par Jean-Luc Lagarce, qui pose le spectateur à table avec une famille comme toutes les autres, et comme aucune autre. On a presque l'impression d'apercevoir notre assiette sur cette table de déjeuner qui réunit Louis, metteur en scène à succès et homosexuel, aux membres de sa famille après douze années d'absence. Il est venu annoncer sa mort prochaine et inévitable, mais son retour bouleverse ses proches et génère des conflits. Toute la construction du film nous mène à comprendre, semble-t-il, que Louis est parti à cause d'une ambiance similaire. Mais chercher à comprendre n'est pas vraiment comment le film devrait être vécu. C'est une expérience organique, une apnée de 95 minutes et d'émotion à l'état pur, savamment orchestrée par un Xavier Dolan d'une maturité bouleversante. La scène des retrouvailles familiales relève d'une écriture cinématographique maniaque. Chaque silence, chaque regard ou geste est à sa place et sert un sens dramatique. Le moment où le flou arrive, celui où commence la musique, tout est dosé pour exprimer le ressenti de chacun des personnages, et ils sont cinq, et pour que le spectateur ait dans la peau cette sensation d'un orage latent. Il y a Martine la mère (Nathalie Baye), Antoine le grand frère (Vincent Cassel), sa femme Catherine (Marion Cotillard), la petite sœur Suzanne (Léa Seydoux) et Louis (Gaspard Ulliel), la star de la famille, celui qui était le plus brillant, très différent des autres, et qui a choisi d'être une star ailleurs, pour d'autres gens. Cela a un prix, pour lui et pour sa famille qui l'admire, sauf peut-être Antoine à qui revient la lourde tâche de combler la place du père après son décès. Xavier Dolan livre à l'écran un scanner émotionnel de cette famille et sublime l'histoire de gens ordinaires grâce à son cinéma et à des comédiens extraordinaires. Juste la fin du monde est aussi un panoramique sur une vie de famille où Xavier Dolan opère un spectaculaire glissement de points de vue, faisant passer Louis, entre autres exemples, de l'ombre, dans laquelle il était resté pendant presque tout le film, à la lumière juste avant son départ de la maison familiale après une scène dont on ressort lessivé, comme tout le film d'ailleurs, après lequel un silence solennel et contemplatif s'impose à l'âme qui l'a vu. C'est que Dolan est un grand manipulateur des émotions et du langage cinématographique. Il sait ce qu'il veut, comment l'exprimer et y ramener le spectateur comme par hypnose. Dans son faire filmique, il n'y a de place ni pour l'improvisation, ni pour l'approximatif, ni même pour cette erreur qui est humaine. Et l'on veut bien se laisser manipuler contre ce bon moment de cinéma qui exorcise le mal par le mal. Car si l'on commençait à réfléchir, les questions ne manqueraient pas à propos du sens de ce film et du rôle que Dolan donne à chacun, à la mère, au grand frère et à l'artiste. Un film à voir absolument. Du cinéma 3D sans lunettes. Un thriller des sentiments !