Par Taha BEKHODJA Monsieur le chef du gouvernement, le jugement du Tribunal administratif du 26 juin dernier qui a reconnu le pluralisme syndical, mettant fin au monopole syndical de l'Ugtt, est un pas en avant dans le processus de transition démocratique en Tunisie. Vous avez décidé la généralisation du prélèvement des cotisations sur les salaires au profit de toutes les centrales syndicales, cette décision est historique, c'est un fait, mais elle aurait été plus judicieuse, s'il y avait eu carrément sa suppression, il faut reconnaître que ce prélèvement sur salaire est un privilège abusif que l'ancien pouvoir dictatorial a accordé à l'Ugtt. Ceci est illégal, l'administration ne peut pas obliger un salarié à adhérer à une organisation ou une association quelconque ! La liberté d'adhérer ou de ne pas adhérer à un syndicat ressort d'une volonté strictement personnelle du salarié. En France, ce problème est résolu, le Code du travail stipule : « Il est interdit à tout employeur de prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel et de les payer au lieu et place de celui-ci. Le chef d'entreprise ou ses représentants ne doivent employer aucun moyen de pression en faveur ou à l'encontre d'une organisation syndicale quelconque », ce même article doit désormais figurer dans le C.T. tunisien. Il est évident, ce prélèvement des cotisations est susceptible de recours devant le Tribunal administratif pour excès de pouvoir. Ce dernier va évidemment l'annuler au cas où il serait saisi par l'un des salariés qui refuse que son salaire soit tronqué d'un montant au profit d'une organisation syndicale. Si Lahbib, pour être juste envers ce pauvre peuple tunisien, il faut plutôt mettre fin à cet abus syndical illégal, on ne peut pas remédier à cette démesure en étendant l'abus, il est plus que recommandé d'amender le Code du travail comme dans le monde civilisé démocrate. Aujourd'hui, il existe un pluralisme syndical certain, ouvrier et patronal d'ailleurs, et dans une démocratie pluraliste, on doit respecter les droits des minoritaires, il n'y a plus de place aux privilèges abusifs du plus fort, plus personne n'est au-dessus de la loi. Ce qu'il faut retenir du moral de ce jugement du Tribunal administratif, c'est la jurisprudence de mettre toutes les centrales syndicales, ouvrière et patronale sur un pied d'égalité, il est bien temps de tourner la page des pouvoirs tyranniques. Certes, le droit de grève est un droit constitutionnel, mais tous les droits garantis par la Constitution (juste 3 mots) n'impliquent pas un bénéfice automatique sans la moindre réglementation qui l'organise, il suffit de se référer au code du travail. Notre pays se trouve dans une situation socioéconomique très fragile, d'après l'Organisation internationale du travail (OIT), dont la Tunisie est membre à part entière, son Comité de la liberté syndicale admet l'interdiction-même de la grève dans une situation de crise nationale ainsi que le remplacement des grévistes d'ailleurs. Les ratifications internationales bénéficient de la primauté sur nos lois. En toute sincérité, Si Lahbib, s'il y a une réticence aujourd'hui de la part des investisseurs, c'est bien à cause de l'absence de visibilité sociale, ce n'est pas le terrorisme ou la fiscalité qui les inquiète, ce sont les grèves en série et les mouvements sociaux à outrance, le travail a perdu toutes ses valeurs, il n'y a plus de discipline. L'Ugtt est devenue la bête noire des investisseurs, «bech tberrik libled », le résultat est là: 5.000 milliards rien qu'à Phosphate-Gafsa. Après ces pluralismes syndicaux professionnels, des réformes structurelles s'imposent pour pouvoir relancer l'économie, sans ces réformes le pays est condamné à la régression et à la décadence. Augmenter les salaires, en cette période de crise aiguë, est un acte irresponsable et suicidaire de notre économie. La dissuasion est que ces augmentations salariales soient préconisées pour compenser la hausse des prix, ceci est un remède éphémère, il faut se préparer maintenant à une hausse imminente des prix à la consommation, on va assister à une continuation de la boucle prix-salaire qui va potentiellement provoquer une spirale inflationniste ! L'augmentation des prix va réduire à néant les gains sur le pouvoir d'achat des ménages et affaiblira davantage celui des chômeurs déjà en situation précaire et surtout en augmentera leur nombre. Il faut s'attendre à ce que certaines entreprises en difficulté financière ferment leurs portes et bien sûr renvoient leurs ouvriers pour cessation de paiement. C'est clair, l'Utica ne devrait pas céder, cette augmentation des salaires est une erreur fondamentale dans la mesure où elle ne tient compte ni de la branche ni de la zone d'activité. Il ne faut pas se faire d'illusion maintenant, tous les salariés, là où ils se trouvent, vont réclamer leur droit à cette augmentation, même dans le tourisme déjà à genoux et le choc inéluctable de l'enchérissement de la vie, surtout dans les régions comme Gafsa, Tataouine, Jendouba... où le taux de chômage avoisine les 26% ! Cette augmentation de salaire est dépourvue de tout bon sens, il faut agir plutôt au niveau de l'amélioration du pouvoir d'achat. L'article 376 et suivants du code du travail, réglant les différends collectifs de travail, propose une commission régionale de conciliation, dont les négociations salariales, ou à défaut convenir à une solution de soumettre le dossier du conflit à l'arbitrage. Cette commission de conciliation est présidée par le gouverneur, ce qui s'est passé dernièrement au Kef où quelque 600 postes ont été maintenus à la câblerie Coroplast. Après plusieurs mois d'hésitation et de soubresauts inquiétants pour l'avenir des employés, la direction de l'usine de fabrication de câbles pour les firmes allemandes, Volkswagen et Skoda, a décidé de maintenir ses activités au Kef, à la satisfaction des autorités régionales et des employés. Cette décision est intervenue au terme d'une réunion présidée par le gouverneur, au cours de laquelle ont été examinées la situation de l'entreprise et les difficultés qu'elle rencontre aussi bien au niveau de la commercialisation de ses produits qu'avec le syndicat qui réclame la revalorisation des salaires, ce que l'entreprise se déclare incapable de faire en raison des difficultés conjoncturelles. L'accord paraphé entre les employés et la direction a été d'un grand soulagement pour tout le monde : Coroplast représente la seconde grosse entreprise industrielle de la région. Il est très recommandé de multiplier l'application de ce processus d'arbitrage dans les régions, c'est ça la décentralisation, il faut finir avec les négociations sociales à l'échelle nationale, la Tunisie dispose de lois draconiennes qu'on n'applique malheureusement pas. Monsieur le Chef du Gouvernement, il faut bien combattre le syndicalisme apathique, ce n'est que du terrorisme économique en ce moment de crise nationale aiguë, ceci ne peut jamais s'arranger par une négociation centrale nationale en absence d'un équilibre entre : « Gouvernement/Patronat/Syndicat », on doit absolument mettre fin à la loi de la rue. Les temps de l'asservissement et de l'esclavagisme sont révolus depuis belle lurette, la nouvelle puissance de l'Ugtt (plus de 60.000 syndicalistes), affirmée depuis le 14 janvier 2011, ne doit nullement l'autoriser à l'exercer sur un tissu entrepreneurial fragilisé par la conjoncture aussi bien nationale qu'internationale. Le Quartette a été formé pour trouver une solution à la crise politique que traversait le pays; c'était un succès et la preuve c'est qu'il a eu le prix Nobel de la paix. Aujourd'hui, dans une nouvelle initiative de préparatifs du dialogue social, il faut réunir les trois protagonistes des négociations, les icones des Organisations patronale et ouvrière ainsi que le gouvernement. On doit reprendre l'opération de dialogue, mais dans un Quintette cette fois-ci, avec 5 acteurs principaux : 3 experts indépendants désignés par lesdits protagonistes avec un membre du Quartette : M. Ben Moussa, président de la Ltdh et M. Saâdallah, président de l'Odc et pourquoi pas une « istichara watania. ». Ce Quintette, fera office d'un audit collégial, composé d'un expert représentant l'ensemble des centrales syndicales (Ugtt, Cgtt, OTT et UTT), un second (économiste) pour les organisations patronales (Utica, Conect et Cnfce) et le dernier (juriste) pour le gouvernement, la présence de l'OIT est vivement recommandée. Ce Pacte national est le seul moyen pour que tout le monde sorte par la grande porte de ce bras de fer social, avec l'engagement de ces protagonistes d'appliquer la sentence arbitrale dans les négociations prévues 2016-2017. Le Quintette aura, entre autres, pour missions : l'analyse de la situation économique, la réticence des investisseurs et les issues de secours potentielles, l'explication du paradoxe chômage / manque de main-d'œuvre, la détermination des Smig et Smag, l'évolution automatique des salaires et la productivité, les grèves et leur impact sur la vie sociétale, la cause de délocalisation des entreprises... Cette sentence arbitrale intelligente mettra certainement fin à tous les dépassements et les négociations sociales cycliques lassantes. Le succès du Quintette dans l'instauration d'une paix sociale durable pourrait éventuellement être récompensé, lui aussi, par un prix Nobel. Messieurs les dirigeants du pays, il n'y a pas de demi-mesure, il faut absolument mettre de l'ordre et appliquer la loi, il faut rappeler aux syndicalistes, qui incitent à paralyser l'activité économique du pays, que le décret n° 78-50 interdit les grèves en état d'urgence. Il y a eu une menace, de la part de l'Ugtt, de saboter de notre économie: ce n'est pas par hasard que la grève générale a été programmée pour le 21 janvier, date qui coïncide avec la participation de la Tunisie au Forum économique de Davos, tenu du 20 au 23 janvier ! L'Utica était contrainte d'augmenter les salaires en urgence, la veille dudit Forum pour la bonne image du pays. Réellement, l'Ugtt ne pense qu'à son intérêt, la préservation de ses 800.000 adhérents, cette masse de plus d'une vingtaine de milliards qui renfloue ses caisses annuellement. On a vu des responsables du bureau exécutif de l'Ugtt, inquiétés des risques de perte d'argent, se mobiliser pour dénoncer la décision gouvernementale de généraliser le prélèvement des cotisations sur les salaires, ils ont multiplié leurs déclarations pour démontrer que ladite décision est injuste et illégale, ce qui est n'importe quoi ! Aujourd'hui, il faut que les syndicalistes fassent preuve de plus de patriotisme et de bon sens et remettent leur pendule à l'heure, l'intérêt de la Patrie doit passer avant leur intérêt. Si on veut vraiment l'amélioration du sort des pauvres, il n'y a pas 36.000 solutions, il faut absolument agir sur le pouvoir d'achat, et pour ce faire, c'est à l'Ugtt de veiller à l'amélioration de la productivité, faire face aux corrompus, les barons de la contrebande et débarrasser l'administration des brebis galeuses qu'elle n'arrête pas de défendre. Il est clair, il ne faut pas espérer la reprise des investissements sans une paix sociale durable et, donc, aux syndicalistes de revenir à la raison et de cesser la manipulation d'une pauvre population inconsciente et inculte. Monsieur le Chef du Gouvernement, cet arbitrage social des experts indépendants, qui vont opérer impartialement dans le seul intérêt supérieur du pays, ne peut que servir de base de discussion dans le dialogue social national préconisé, sachant que la soumission à l'arbitrage suspend toute grève ou lock-out (art. 382-bis du C.T.), soit une trêve de quelques mois sera obligatoire. Personne ne peut ignorer ou ne pas reconnaître le rôle joué par l'investisseur privé, en tant que créateur d'emploi (2 millions) et un acteur indispensable dans l'économie du pays (plus de la moitié des IS et IRPP). La quasi-totalité des chefs d'entreprise sont de véritables militants, ils ont construit ce pays au détriment de leurs biens, famille et santé, il faut absolument préserver cette richesse nationale, la moitié du verre rempli.