Le fléau du suicide, surtout des jeunes, s'est développé, ces dernières années, d'une façon très inquiétante à un point tel que les experts en psychologie sociale se trouvent dépassés par son ampleur. Toutes les études et les recherches disponibles traitent généralement le suicide en tant qu'un acte personnel isolé, mais elles ne se sont jamais penchées sur le phénomène du suicide conditionné, où un individu ou plus se font exploser, provoquant la mort d'autres personnes. La Seconde Guerre mondiale nous révéla des formes de suicide assez particulières, appelées kamikazes, qui portèrent des coups ravageurs aux forces américaines, lors de l'invasion du Japon par les Etats-Unis. Kamikaze ou Harakiri sont des pratiques spécifiques à la culture japonaise et chinoise, et qui ne peuvent se reproduire ailleurs. L'humanité a connu de même, au cours des années soixante et soixante-dix, une vague de suicides typiques à motivations idéologique, religieuse ou satanique (relatif à certaines confréries kabbalistiques occultes), qui avaient défrayé la chronique et sidéré l'opinion publique occidentale, pendant près d'une décennie. Toutefois, ce genre de cas reste limité dans le temps et l'espace et ne peut pas être retenu comme paradigme référentiel. En Tunisie, le problème se pose autrement, car il connaît d'un seul coup une montée fulgurante et dramatique, et ce, depuis le déclenchement des émeutes de décembre 2010, qui ont eu un effet boule de neige dans l'ensemble des régions limitrophes, avec l'étincelle fatale qui provoqua l'éruption libératrice, lorsque le jeune martyr Bouazizi s'immola par le feu, en signe de protestation contre l'injustice et la misère! Ce fut là le premier suicide «logique» selon l'approche conceptuelle de Dostoieveski, une expression de révolte originale et choquante, qui ébranla la conscience populaire, longtemps muselée par la machine d'un pouvoir tyrannique. Et puis, telle une traînée de poudre, les suicides par immolation se succédèrent en réaction en chaîne, un peu partout en Tunisie. De nombreux jeunes, laissés-pour-compte et écrasés sous le fardeau des frustrations, cherchèrent dans la chaleur des flammes le salut de leurs âmes meurtries et frustrées ! La plupart des immolés étaient des jeunes désorientés, sevrés de toute chaleur humaine et privés des attributs les plus élémentaires de leur condition d'être. Certes, il y a eu d'autres cas qui ont été entraînés par l'effet d'émulation et qui ne vivaient pas moins les mêmes frustrations et la même sensation de vide et de marginalisation que ressentent la majorité écrasante de nos jeunes. Ainsi, le suicide par immolation est devenu une mode macabre. Passée cette fièvre, l'addiction suicidaire s'est emparée, ces quelques dernières années, des plus jeunes dont l'âge varie entre 10 et 20 ans, qui ont choisi d'autres procédés pour arracher les bourgeons de leur printemps ! Une vague dramatique de suicides a déferlé, ces quatre dernières années, sur certaines régions de notre pays, provoquant inquiétude et désarroi. Une tendance à la hausse En 2015, le rythme s'est accéléré d'une manière préoccupante et choquante non seulement par le nombre, mais surtout par l'âge précoce des victimes et la fréquence de ces suicides dans des régions bien déterminées. Ainsi, un gosse s'est pendu, au cours de ces derniers mois, à la rampe de l'escalier de son domicile à Sidi Bouzid, il était en 6e année de base; un mois auparavant, une fille de 8 ans, également de Sidi Bouzid, s'était pendue à l'endroit même où s'était suicidé son frère aîné! Le 15 mars 2015, un adolescent de 15 ans s'est défenestré à cause de ses mauvaises notes. Le même mois à Kairouan, une jeune élève a tenté de mettre fin à ses jours dans l'enceinte de son collège. Une gosse de 12 ans s'est pendue à Kairouan, à cause des mauvais traitements subis à l'internat, une affaire qui a eu un large écho dans les médias...! A Bizerte, quatre adolescentes de moins de 14 ans avaient tenté de se suicider, en avalant du raticide. Le motif de ce suicide raté, c'était la peur d'être renvoyées de l'école, suite à la disparition du registre de classe. Et la liste ne s'arrête pas là; de nombreuses autres tentatives sont enregistrées ici et là et constituent autant de signes d'alarme, qui nous incitent impérativement à consacrer à cette dramatique calamité sociale tout notre intérêt. Rien de plus tragique pour une société que de voir ses jeunes gagnés par le désespoir, parenthèse infernale qui s'ouvre sur la descente aux enfers...! Il urge de mobiliser toutes les forces vives de la nation et, en premier lieu, les sociologues, les psychologues, les éducateurs et autres experts dans le domaine, pour cerner les motifs et analyser les causes profondes de cette fièvre suicidaire qui ravage des jeunes à la fleur de l'âge! Nous dénonçons ce mutisme démissionnaire de la société qui risque d'approfondir encore plus le fossé entre les générations et d'amplifier cette fracture sociale, née des profonds bouleversements que vit notre société dans cette étape post-révolutionnaire.