Par Dr Haifa REMILI | Médecin radiologue Le cancer du sein est le premier cancer féminin en termes de fréquence et de mortalité. Selon l'Organisation mondiale de la santé « OMS », plus de 2,2 millions de cas de cancer du sein ont été recensés dans le monde en 2020, ainsi que 685 000 décès. En Tunisie, les taux d'incidence et de mortalité par cancer du sein étaient respectivement de 50,17/100.000 personnes-années et de 14,04/100.000 personnes-années en 2017, d'après une étude menée à l'Institut Salah Azaiez «ISA» [1].Le profil épidémiologique du cancer du sein dans notre pays est particulier, le point à retenir c'est que 45,6% des cas surviennent avant 50 ans[2]. Actuellement, le dépistage, avec un diagnostic précoce, est le seul garant d'une baisse de la morbi-mortalité liée à ce cancer. Pour informer et sensibiliser plus les femmes à ce sujet, chaque année en octobre, une campagne de lutte contre le cancer du sein est mise en place: «l'Octobre rose». Histoire naturelle du cancer du sein L'histoire naturelle du cancer du sein est et a toujours été le meilleur argument pour appuyer les programmes de dépistage organisés et instaurés partout dans le monde. Les cellules tumorales sont issues soit du canal galactophorique (dans 85% des cas), soit du lobule (dans 15% des cas) situés au sein du tissu glandulaire mammaire[3]. Au départ, ces cellules respectent la membrane basale, qui est une membrane délimitant la glande mammaire, et qui constitue une barrière à leur dissémination. A ce stade, le cancer est dit «in situ», il est asymptomatique avec un risque quasi nul de localisations à distance ou métastases. Après quelques mois à quelques années, le cancer initialement «in situ» finira par franchir la membrane basale et devenir un cancer «invasif». Les cellules tumorales peuvent, à cette phase, infiltrer les tissus avoisinants et se propager dans les ganglions lymphatiques régionaux voire dans les autres organes du corps. Il est primordial de rappeler que la prise en charge est nettement plus efficace à un stade microscopique associant, selon les cas, une chirurgie, une radiothérapie et un traitement médical (hormonothérapie, chimiothérapie et thérapie ciblée). Intérêt du dépistage et du diagnostic précoces Nul ne peut contester de nos jours l'intérêt du dépistage dans la lutte contre le premier cancer féminin. Le traitement peut offrir une probabilité de survie égale ou supérieure à 90 %, en particulier si la maladie est détectée rapidement. L'espérance de vie corrigée de l'incapacité (EVCI), ou l'acronyme anglais DALY pour « DisabilityAdjusted Life Years», est l'évaluation de l'espérance de vie en bonne santé c'est-à-dire en soustrayant à l'espérance de vie le nombre d'années perdues à cause de la maladie et le nombre d'années vécues avec un handicap à la suite de la maladie. En Tunisie comme à l'échelle mondiale, les femmes perdent plus d'années de vie, ou plus précisément de DALY, en raison du cancer du sein que de n'importe quel autre type de cancer. Selon une étude tunisienne parue en 2017, le nombre de DALY a été estimé à 25.145 années pour 438/100.000 personnes-années en 2017, et passera à 40.071 années pour 507/100.000 personnes-années en 2030, en l'absence de renforcement du programme de dépistage[1]. A qui s'adresse le dépistage ? En France, par exemple, le dépistage organisé s'adresse à toutes les femmes sans facteur de risque particulier, âgées entre 50 et 74 ans. Pour toutes ces femmes, un bilan sénologique incluant une mammographie +/-échographie est établi tous les deux ans à titre gracieux. Les patientes ayant un antécédent personnel ou familial de cancer du sein ou de l'ovaire, les patientes porteuses d'une mutation génétique délétère (BRCA1, BRCA2, PALB2...) et les patientes ayant eu une irradiation thoracique sont exclues du programme du dépistage organisé et rentrent dans le cadre du dépistage individuel. A l'instar de la France, les pays développés ont mis en place des stratégies de dépistage en prenant en considération les spécificités de leurs populations. Dans notre cas, le ministère de la Santé a intégré la campagne «Octobre rose» en juin 2019. La campagne annuelle a pour objectif de dépister 500.000 femmes âgées de plus de 35 ans[1]. Cette initiative doit être renforcée par une stratégie de dépistage à l'échelle nationale garantissant une exploration adaptée tout au long de l'année. Compte tenu que 45,6% des cancers du sein en Tunisie surviennent avant 50 ans, il serait justifiable de commencer le dépistage avant cet âge[2]. Comment se déroule le dépistage ? Tout bilan sénologique est source d'anxiété. En dehors de tout symptôme, la femme arrive au centre de dépistage, généralement un cabinet de radiologie, équipé de mammographe et d'échographe. L'accueil et l'information de la patiente sont très importants dans ce contexte, d'une part, pour atténuer l'anxiété de la patiente et la mettre en confiance et, d'autre part, pour expliquer le déroulement de l'examen considéré comme déplaisant par plusieurs femmes. La mammographie est réalisée par une technicienne de radiologie expérimentée qui sera à l'écoute et veillera au bon déroulement de l'exploration. Deux incidences mammographiques sont nécessaires par sein : une de face et une oblique externe. D'autres incidences complémentaires peuvent se rajouter en fonction des résultats du bilan initial. Une échographie mammaire et axillaire peut être nécessaire pour compléter le bilan en cas de densité mammaire élevée. Dans ce cas, c'est le radiologue qui pratique le geste. Figure 1 : Exemples de mammographies montrant d'une densité mammaire faible(a) et d'une densité mammaire élevée pouvant masquer certaines lésions rendant l'interprétation plus difficile. Il faut toujours insister auprès des patientes sur l'intérêt de ramener des précédents bilans afin d'éviter le sur-diagnostic d'anomalies éventuellement stables par comparaison à l'antériorité. Quelles anomalies à un stade précoce et quelle prise en charge ? Figure 2 : Mammographie du sein gauche en incidence de face montrant un foyer de microcalcifications (cercle), correspondant à un cancer canalaire in situ. Pour un traitement plus simple et plus efficace, il faut que le diagnostic soit fait à un stade précoce de la maladie[4]. Sur une mammographie, cela se traduit le plus souvent par un foyer localisé de microcalcifications de morphologie et de distribution prédictives de malignité. D'autres aspects peuvent se voir, notamment l'asymétrie de densité entre les deux seins, la distorsion architecturale qui est une rupture de l'organisation normale du sein, la masse qui est une image visible sur les deux incidences réalisées. Face à un de ces aspects, une échographie complètera nécessairement le bilan. L'objectif est de retrouver une lésion cible correspondant à l'anomalie mammographique. Toute anomalie suspecte de malignité fera l'objet d'un prélèvement pour vérification histologique, le plus fréquemment par microbiopsie sous guidage échographique ou plus rarement par macrobiopsie sous stéréotaxie. Si le caractère malin est retenu en histologie et qu'il s'agit d'un cancer localisé non métastatique, le traitement sera conservateur dans les limites du possible. Il s'agit d'une tumorectomie ou mastectomie partielle accompagnée dans la majorité des cas par une radiothérapie adjuvante. La chirurgie conservatrice permet d'éviter un geste radical qui est la mastectomie totale ou l'ablation complète du sein. Dans une étude néerlandaise ayant inclus plus de 170.000 patientes, la survie à 5 ans à stade précoce (tumeur 1cm) approche les 100%[5]. Conclusion Le cancer du sein atteint une femme sur huit. «L'Octobre rose» est une opportunité pour les femmes tunisiennes ainsi que toutes les femmes du monde de se faire dépister. Le dépistage permet un diagnostic précoce de la maladie, un traitement moins agressif et un taux de guérison nettement plus important. Renforcer cette initiative par une stratégie nationale de dépistage organisé demeure un besoin pour lutter contre ce problème de santé publique. Références : 1. Cherif A, Dhaouadi S, Osman M, Hsairi M. Breast Cancer burden in Tunisia: situation in 2017 and projections by 2030. European Journal of Public Health. 2019;29 2. El Ajmi W, Ben Hmida O, Limam K, Hammami H, Sellem A. Cancer du sein en Tunisie : profil épidémiologique et dépistage des métastases osseuses. Médecine Nucléaire. 2020;44:120. 3. Payen A. Physiopathologie du cancer du sein. L'Aide-Soignante. 2015;29:12-14. 4. Ginsburg O, Yip CH, Brooks A et al. Breast cancer early detection: A phased approach to implementation. Cancer. 2020;126 Suppl 10:2379-2393. 5. Saadatmand S, Bretveld R, Siesling S, Tilanus-Linthorst MM. Influence of tumour stage at breast cancer detection on survival in modern times: population based study in 173,797 patients. BMJ. 2015;351:h4901.