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Moez Cherif, Président de l'Association de défense des droits de l'enfant à La Presse: «Nous n'avons jamais été aussi inquiets pour nos enfants qu'aujourd'hui»
Aujourd'hui, il devient très clair que les enfants sont également fortement impactés par Delta, le variant de covid-19 le plus contagieux et le plus dangereux. Selon les chiffres annoncés, pas moins de 15% des enfants et nourrissons infectés présentaient des symptômes sévères à modérés, nécessitant un équipement spécial pour réanimer les nouveau-nés, les nourrissons et les enfants. Certes, ce variant ne prend pas pour cible spécifiquement les enfants, mais l'absence de la vaccination fait d'eux une porte d'entrée pour le virus. De l'autre côté, le gouvernement a relativement peu communiqué sur la vaccination des plus jeunes, âgés de 0 à 12 ans. Moez Cherif nous en dit plus dans cet entretien. A un mois de la rentrée scolaire, en pleine crise sanitaire, la Tunisie est-elle prête ? Nous avons un grand souci pour la prochaine rentrée, qui viendra après trois années de perturbation profonde de la scolarité des enfants. Pour la première année, on a vécu une grève des enseignants durant trois mois de suite, et au cours de laquelle le ministère a décidé le passage automatique des enfants d'une année à l'autre, sans mesures complémentaires et sans aucune évaluation. Quant à la deuxième année, le nouveau coronavirus a fait son apparition dans le monde et tout un trimestre n'a pas été enseigné à cause d'un confinement général qui a perduré trois mois. Alors que, pour la troisième année, le ministère a mis en place depuis le début de l'année scolaire un enseignement alterné par groupe. Et durant cette même année —et les chiffres officiels le confirment déjà—, on a vu la détérioration de la qualité de l'enseignement et du niveau des élèves qui n'ont pas pu avoir un enseignement organisé et logique, comme c'est déjà le cas dans le secteur privé. Cette situation a touché les enfants du système éducatif public, notamment les plus vulnérables d'entre eux. Plus loin que ça, pendant cette période difficile, tout était une priorité ; l'intérêt des enseignants, les droits à la grève, les crises covid, la transmission de la maladie qui a accaparé l'attention de tous les gouvernements... alors que, de l'autre côté, rien n'a été fait pour essayer d'améliorer la qualité de l'enseignement pour l'enfant qui fait face, aujourd'hui, à une quatrième année "terrible", après une longue suspension, qui risque de perdurer encore plus avec une gestion catastrophique de la situation. Malgré ce constat qui fait froid dans le dos, nos décideurs font toujours la sourde oreille et, à ce jour, l'éducation ne constitue pas un souci majeur pour le ministère de tutelle, ce qui pose un vrai problème pour l'actuelle et les futures générations avec notamment l'absence de stratégies et de visions, capables de préserver les droits de chaque enfant à une éducation de qualité. Il y a toujours le prioritaire et le moins prioritaire. Mais, aujourd'hui, c'est la santé de nos enfants qui est en jeu avec le variant Delta. Comment va-t-on accepter et gérer ce danger?! Tout le monde fait face à une terrible réalité et nous n'avons jamais été aussi inquiets pour nos enfants qu'aujourd'hui. Il devient aussi très clair que les enfants sont également fortement impactés par le variant Delta puisque des cas symptomatiques graves semblent augmenter chez eux, notamment les moins de deux ans. Ce qui fait que la vaccination de nos enfants, ce qu'on a de plus cher dans ce pays, aussi bien concernant leur santé que leur formation et cursus scolaire, est essentielle pour établir une barrière immunitaire contre le virus. Leur vaccination est, donc, une priorité nationale. Pour les adolescents et les jeunes, le problème est pratiquement résolu étant donné que les autorités sanitaires ont décidé d'organiser une deuxième journée portes ouvertes, dédiée à la vaccination des personnes âgées de 18 à 39 ans contre le coronavirus, dimanche prochain. Mais le problème persiste encore pour les autres enfants et surtout les tout-petits, puisque le variant Delta touche de plus en plus de jeunes enfants et des nourrissons, ce qui a entraîné une augmentation du nombre d'hospitalisations et une saturation des lits de réanimation néonatale dans les services de pédiatrie, avec des symptômes sévères à modérés. Pour les plus de trois ans, ils peuvent attraper la maladie et la transmettre, mais il n'y a pas de problèmes de gravité pour eux. Le seul problème c'est la possibilité de transmission des enfants entre eux, à leurs parents, au cadre éducatif… Ce qui fait que nous sommes toujours dans un cercle vicieux car, sans la protection de la vaccination, les maladies risquent de se propager rapidement et d'avoir des conséquences catastrophiques. Du coup, la vaccination de masse contre le covid-19 est la seule façon de contenir cette pandémie. Où se situe le blocage ? Pour les enfants de moins de 17 ans, le problème est avec les syndicats : il est normal et anticipé d'éprouver des réactions courantes et des effets secondaires après le vaccin contre le covid-19 ou n'importe quelle autre maladie. Mais la plupart de ces réactions sont légères et ne durent pas, et ce ne sont pas tous les enfants qui les ressentent. Et donc, le vaccin n'a aucune gravité et aucun danger sur leur vie... Et lorsqu'on demandait de vacciner les enfants, c'était pour rompre le cercle de transmission, parce qu'un enfant de 5, 10 ou 15 ans peut ramener le virus à la maison, à son petit frère et à sa petite sœur qui a un an ou moins et qui, avec le variant Delta, peut faire une forme grave de la maladie. Par ailleurs, les adultes n'arrivent pas à pratiquer les consignes sanitaires et ne respectent pas la distanciation sociale, donc comment peut-on imposer ces règles aux enfants ? Comment peut-on les convaincre qu'ils ne doivent pas toucher ou s'approcher de leur petit frère ou leur petite sœur ? C'est plus facile à dire qu'à faire ! Et donc, la possibilité de transmettre la maladie existe toujours. D'où l'obligation et l'urgence de vacciner les enfants. A l'échelle internationale, deux vaccins (Pfizer et Moderna) ont obtenu les Autorisations de mises sur le marché (AMM) pour les enfants de 12 à 18 ans. Aux Etats-Unis et au Canada, la vaccination des enfants de 12 à 15 ans a, bel et bien, démarré ; elle a été autorisée depuis le 27 mai par l'Association européenne des médicaments (AEM). Mais chez nous et malgré les nouvelles mesures annoncées, la vaccination est toujours à la traîne. Quant à la vaccination des moins des 12 ans, la polémique est toujours d'actualité. Pour quelles raisons ? Il existe toute une pression qui est en train d'être exercée sur le ministère de la Santé et sur l'équipe qui est en train de gérer la campagne de la vaccination pour ne pas les laisser prendre des mesures et les décisions qui sont en rapport avec l'intérêt de toute la population. Je peux vous citer l'exemple des adultes âgés de plus de 40 ans et qui peuvent bénéficier du vaccin Astrazeneca. Cela nous permettra d'économiser des doses qui seraient réservées à ceux qui ne peuvent pas prendre un autre vaccin que Pfizer ou Moderna. Or, nous ne sommes pas dans une société égalitaire. Il y a un corporatisme et des lobbys extrêmement puissants et chacun d'entre eux exige et considère être le meilleur pour bénéficier du Pfizer ou Moderna. Ils exigent ces deux vaccins pour pouvoir obtenir le visa et pour pouvoir voyager. C'est-à-dire que l'intérêt "ridicule" d'avoir la possibilité de voyager quand on veut met en péril la santé des enfants qui ne pourraient recevoir que du Pfizer ou du Moderna puisque leur âge ne permettra pas de recevoir les autres vaccins anti-covid car il y a des contradictions et des contre-indications absolues. A cet égard, les enfants, qui sont la frange la plus fragile de notre population, sont les moins représentés et les moins pris en considération au niveau de leur droit d'accès à la santé, à l'éducation..., parce que nous vivons dans une société d'égoïsme qui est, malheureusement, défendue par les associations corporatives. A ce niveau-là, on ne peut pas défendre les plus faibles parmi les faibles qui sont les enfants! Toute la logique qu'ils sont en train de développer au niveau de l'accès des enfants à leur droit n'a vu aucune prise de décision, une vraie, de la part du syndicat. On n'est plus dans une logique d'intérêt national ; on est dans une logique d'intérêt sectoriel. Mais cette situation ne peut pas perdurer... Oui ! Car il faut, toujours, voir le verre à moitié plein. Récemment, nous venons d'apprendre que les enfants porteurs d'une maladie chronique sont considérés comme prioritaires et peuvent bénéficier de la vaccination quel que soit leur âge. Il suffit de les inscrire sur la plateforme Evax.tn et aller vers la rubrique de priorité pour les faire bénéficier d'une vaccination. C'est déjà un pas positif à saluer. Alors que pour le reste des enfants, depuis la révolution, leur accès à leurs droits ne constitue pas une priorité dans la politique gouvernementale. Aujourd'hui, on espère qu'il y aura une prise de conscience et un redressement de toutes ces politiques après le 25 juillet. On doit rappeler à tout le monde que le tiers de la population tunisienne sont les enfants, qui ont des droits universels qui doivent être respectés par tout le monde, y compris les partenaires sociaux. Mais jusqu'à aujourd'hui, on est toujours dans un cercle vicieux où les enfants ne décident rien du tout et il n'y a pas quelqu'un qui a une voix suffisamment forte pour défendre leur intérêt. Et donc, ils resteront toujours vulnérables par rapport à la maladie et par rapport à la qualité médiocre de l'enseignement, qui reste notre premier souci. Cette situation aura des retombées sur le moyen et le long termes parce qu'on est en train de les appauvrir... L'ignorance, la pauvreté, la marginalité...deviennent un héritage de toute une frange de la population.