Ce qui s'est passé dimanche dernier devant les stations-services, aux quatre coins du Grand-Tunis, ne restera pas sans suite fâcheuse. Et bien que la grève générale, annoncée trois jours auparavant, ait été finalement reportée aux 5, 6 et 7 octobre prochain, la réaction, encore en gestation, des transporteurs de carburants n'augure rien de bon. D'ailleurs, le torchon brûle entre l'Utica et l'Ugtt, en raison d'un accord en instance depuis mai 2014, sur des augmentations salariales au profit du secteur du transport des marchandises par voie terrestre. Convoquée par la centrale syndicale, la conférence d'hier, tenue à la place Mohamed-Ali à Tunis, a été, en fait, une occasion pour revenir sur les tenants et les aboutissants d'un débrayage inachevé, mais qui n'exclut pas, pour autant, l'hypothèse d'une crise à l'horizon. Une cause à défendre Entrant dans le vif du sujet, M. Belgacem Ayari, secrétaire général adjoint chargé du secteur privé à l'Ugtt, a voulu, d'emblée, éclairer les lanternes sur le fait que cette grève générale ne fut pas décidée contre les propriétaires des stations-services qui ont été, dimanche dernier, envahis par les automobilistes paniqués par le risque de pénurie en carburants durant toute la semaine à cause des trois jours de la fête de l'Aïd. Elle était, plutôt, décrétée par les transporteurs de marchandises et de carburants, suite au refus de l'organisation patronale, l'Utica, à répondre à leurs revendications matérielles au titre de 2014, allant de 20 à 30 dinars par mois. D'ailleurs, défend-il, ce sont les seuls dans leur catégorie professionnelle privée à n'avoir pas bénéficié de ces augmentations salariales, auxquels s'ajoutent également les ouvriers des cafés, des restaurants et de gardiennage. Alors qu'il s'agit là d'un métier à risque, dont les conditions de travail sont précaires. « Pourtant, l'Utica continue à jouer les prolongations, faisant fi de nos appels répétés à revenir à la table des négociations, afin de venir à bout de ces difficultés financières. Mais en vain. Sa politique de fuite en avant n'a fait que perdurer», a-t-il lancé en haussant le ton. Et M. Ayari de lui faire assumer la responsabilité de ces tergiversations à n'en plus finir, dénonçant un manquement à ses engagements pris il y a plusieurs mois. «Les chambres nationales des sociétés du transport des marchandises relevant de l'Utica n'ont même pas eu le bon réflexe d'éviter cette grève pour épargner aux automobilistes les longues files d'attente devant les kiosques d'essence », a-t-il encore fustigé. Ce qui explique, selon lui, qu'elles voulaient, dès le début, détourner le débrayage à leur profit. A preuve, dévoile-t-il, ces propriétaires des sociétés de transport de carburants font en sorte que la compensation qui leur est servie par l'Etat soit portée de 5 à 10 %, pour se situer jusqu'ici à 7 % au total, soit 2 % d'augmentation. De même, leur organisation patronale a été aussi pointée du doigt, accusée d'avoir bloqué le processus des pourparlers à ce niveau qui ont eu lieu, dimanche à 14h au siège du ministère des Affaires sociales. Autre raison de blocage: « L'Utica réserve à l'Ugtt une attitude d'hostilité », évoque-t-il. Menaces d'escalade Question négociations sociales dans le secteur privé, l'accord tripartite gouvernement-Ugtt-Utica, inscrit dans le cadre du pacte social, n'a pas encore donné ses fruits. Ces négociations n'étaient pas à la hauteur, laissant traîner plus de 100 dossiers dans un secteur qui emploie plus de 1,5 million de personnes. Un comportement de négligence à leur égard, pour ainsi dire. « Aujourd'hui, on est en train d'engager un nouveau round de négociations qui doit exiger un accord-cadre à ce niveau », relève le secrétaire général adjoint à la centrale syndicale. Mais, il y a, selon lui, une sorte de réticence de la part de l'Utica qui propose des solutions qui relèvent de la gageure, de sorte que la majoration salariale dans le secteur privé doit être calculée sur la base du taux de production et de productivité. Ce qui n'est pas possible, du point de vue de l'Ugtt, justifiant que cette proposition, « absurde », intéresse plutôt les sous-secteurs. « Pour nous, la question des augmentations doit être traitée dans sa globalité, à l'échelle centrale », affirme-t-il. Il a souligné que son organisation n'a ménagé aucun effort afin de venir à bout du sujet, jouant un rôle de premier plan dans la réduction à 20 % des fréquences des grèves. Or les négociations semblent faire du surplace. « Que Mme Wided Bouchammaoui, la présidente de l'Utica, s'engage sérieusement avec nous et partage avec nous la responsabilité pour l'intérêt général du pays », appelle-t-il. A défaut de compromis sur ce point, M. Ayari a menacé d'orchestrer une grande mobilisation populaire à travers les régions, afin de faire davantage de pression. « Nous allons aussi lancer un appel pour un grand rassemblement à la place Mohamed-Ali, dans l'objectif d'imposer la conduite des négociations vers le succès », a-t-il averti. Dernier recours si ces menaces n'aboutissent pas, le SG adjoint promet d'aller plus loin, notamment vers une grève générale du secteur privé. Au grand dam de la tant attendue paix sociale.