Par Prof. Ahmed BOUAZZI (*) En ce moment où le ministère de l'Education prépare une réforme de l'enseignement, plusieurs personnes publient des articles dans la presse pour soutenir l'utilisation du français comme langue d'enseignement des matières scientifiques, au lycée et même au collège. Evoquant les souvenirs de l'enseignement dans les collèges franco-arabes du temps du protectorat, où le français était la langue principale utilisée pour l'enseignement de toutes les matières, et l'arabe limité à la formation des instituteurs et des professeurs du secondaire, ils conseillent d'utiliser le système des années cinquante du siècle dernier pour l'enseignement des langues et des sciences. Leurs arguments ne sont guère scientifiques. Ils affirment que l'arabisation des matières de sciences humaines dans les années soixante-dix est la cause de la baisse du niveau, alors qu'aucune recherche ou étude sur l'enseignement ne corrobore cette affirmation. Ils ajoutent pour défendre leur thèse que l'arabisation mise en œuvre par la Troïka a encore détérioré le niveau, pure contrevérité puisque la Troïka n'a pas touché à l'éducation. Mais ils pensent de cette manière motiver les radicaux anti-Ennahdha pour soutenir leur discours; ils veulent réformer l'enseignement sur la base d'opinions politiques. Or, nous sommes dans les années dix du vingt et unième siècle, après une révolution populaire et l'adoption d'une constitution consensuelle qui met la langue arabe à sa vraie place, celle de langue nationale officielle, notamment dans l'enseignement. Il nous incombe de réaliser la réforme dans ce cadre, en nous appuyant sur des études sérieuses et sur l'expérience des pays qui nous devancent dans le domaine de l'éducation. Nous devons, en particulier, travailler à la lumière de la place qu'ils donnent eux-mêmes à leur langue nationale, dans leur propre système d'enseignement. Si du temps où le pouvoir incombait, en Tunisie, au Résident Général, le français était la langue officielle du pays et de l'administration, aujourd'hui nous sommes, théoriquement du moins, un pays souverain, dirigé par nos concitoyens élus. Ils tiennent compte des lois du pays, des traits constitutifs de la majorité de la population et ils sont au service des enfants tunisiens. Obliger un professeur qui ne maîtrise pas le français à expliquer, en français, une leçon de mathématiques ou de physique à un élève qui ne comprend presque pas le français, est inefficace, absurde et anti-pédagogique. Dans mon enfance, on étudiait le calcul à l'école primaire en français. J'ai vu l'accès au lycée barré à la majorité des élèves de ma classe, parce qu'ils n'avaient pas compris le sujet d'examen, rédigé en français, alors qu'ils avaient suffisamment de bagage mathématique pour réussir le concours. Les élèves qui ne maîtrisent pas le français, langue étrangère, sont sanctionnés lors du passage de l'examen de français et c'est normal. Mais ils sont aussi pénalisés en mathématiques, en physique, en sciences naturelles, etc. Cette situation favorise injustement une minorité de citoyens tunisiens qui maîtrisent le français sans avoir forcément un bon niveau dans les matières scientifiques. Le principe d'égalité des chances impose l'utilisation de la langue arabe, langue de tous les Tunisiens, pour enseigner les matières scientifiques au lycée, ce qui permet aux meilleurs en sciences d'être classés premiers dans ces matières. Le fait de respecter l'arabe, notre langue nationale, et de défendre l'efficacité de notre école ne nous empêche pas de tenir aussi à ce que nos enfants apprennent les langues étrangères, mais par addition à la langue arabe et non par substitution. Je crois que M. Neji Jelloul aura assez d'intelligence politique pour ne pas violer la Constitution — qui prescrit l'utilisation de la langue arabe (nationale) pour l'enseignement. Qu'il sera assez patriote pour réaliser l'indépendance culturelle et linguistique que ses prédécesseurs n'ont pas réussi à effectuer depuis 1956. Qu'il est assez cultivé pour savoir qu'un enfant qui maîtrise bien sa langue nationale apprend plus facilement les langues étrangères. Et qu'il est assez pragmatique pour saisir une évidence : on explique mieux les sciences dans une langue que le professeur maîtrise et que les élèves comprennent. (*)Prof. Ahmed Bouazzi est ancien professeur des énergies renouvelables et de la technologie des circuits intégrés à l'ENIT; il vient de publier en 2014 «Afkar dhid attayar, pour l'amélioration du système éducatif»