Par Walid KALBOUSSI (Atugien) Le monde assiste aujourd'hui au dernier acte d'une pièce de théâtre dont la fin a été écrite et orchestrée depuis quelques années. En effet, ce que nous vivons aujourd'hui comme étant le nième rebondissement d'une crise financière et économique sans précédent n'est que la conséquence logique et naturelle des déséquilibres structurels vécus et imposés par les grandes économies de ce monde. Nous pouvons toujours expliquer que la crise actuelle est due à la petite vertu des banquiers ou le génie mal placé des traders. Nous pouvons aussi découvrir du jour au lendemain que le niveau de l'endettement des Etats est devenu insoutenable et appeler à la retenue et à la rigueur budgétaire … Nous pouvons même se féliciter de la mise en place des plans de relance et des politiques d'austérité d'une façon quasi concomitante … mais ceci ne nous donnera en aucun cas les moyens d'expliquer et de comprendre «comment on a pu en arriver là !». Je pense que nous pouvons apporter une première explication à ce «naufrage» programmé des grandes puissances économiques du vingtième siècle en regardant l'évolution de la répartition de richesse dans le monde industriel depuis les trente dernières années. Il suffit de voir l'évolution de la répartition de la valeur ajoutée entre le facteur capital et le facteur travail dans des pays comme la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis pour se rendre compte de l'appauvrissement continu et constant des travailleurs de l'ensemble de ces économies industrielles… La pandémie du chômage, l'établissement et l'installation définitive du travail précaire, le dumping social entre les différents pays, la libéralisation des flux financiers, la disparition des barrières douanières et le renforcement du contrôle des flux migratoires n'ont rien fait pour arranger les choses. Une situation de déséquilibre qui s'accentue de plus en plus avec, d'une part, des actionnaires exigeants et mobiles et, d'autre part, des salariés marginalisés et peu audibles. (En France, l'augmentation annuelle moyenne de dividende par action des sociétés du CAC 40 est de l'ordre de 10 à 15%). Ce déséquilibre auquel assistent impuissantes les grandes économies de ce monde a mis à genoux le pouvoir d'achat de leur masse. Cette baisse a eu pendant des années un impact négatif sur la consommation interne des pays industrialisés et a fragilisé définitivement leur croissance : la crise actuelle n'est que la manifestation ultime de cette situation déjà fort insupportable. Pendant des années, les Etats développés ont orienté leur politique économique afin de limiter les conséquences de ces déséquilibres sans jamais les remettre en cause. Les Etats ont pu pallier cette baisse de la demande en baissant les taux d'intérêt et en ouvrant les vannes de crédit pour soutenir la consommation interne (l'endettement des ménages américains a augmenté ainsi de plus de 130% en 10 ans). De la même façon, ils ont pu atténuer les conséquences de la baisse de la rémunération du travail et maintenir à niveau les prestations et l'aide sociales en laissant filer leurs déficits budgétaires (le budget de la sécurité sociale en France est de l'ordre de 400 milliards d'euros dont une bonne partie est financée par les taxes sur la consommation et par le déficit budgétaire). Les Etats industrialisés ont mis aussi en place des plans d'investissement massifs pour stimuler la demande interne pour atténuer les conséquences de la baisse du pouvoir d'achat des salariés et dissimuler la baisse de la demande (le dernier en date aux Etats-Unis s'élève à 800 milliards de dollars et est essentiellement destiné aux infrastructures et aux allègements fiscaux…). La crise actuelle sous ses différentes formes n'est ainsi qu'un rejet de toutes ces formes de calmants que les politiques de ces pays ont pu administrer à leur économie sans vouloir s'attaquer à la racine du mal. Le premier prélude de la crise a fait comprendre à ces Etats que la politique d'endettement des ménages avait ses limites et le dernier rebondissement de ladite crise nous explique que le financement par la dette de la prestation sociale et de la stimulation de la demande pour pallier l'appauvrissement des travailleurs ne pouvait se poursuivre indéfiniment (la dette de l'Italie doit s'approcher des 120% de son PIB fin 2010, à titre indicatif celle de la Tunisie n'est que de 50% de son PIB). Cette crise n'est donc ni financière ni passagère, elle sonne juste le glas d'un cycle où les pays industrialisés ont pu éviter jusque-là de répondre aux vraies questions et remédier aux déséquilibres de répartition des richesses grâce à des rustines qui ont creusé des déficits abyssaux mais qui s'avèrent aujourd'hui dangereusement en panne. Ces Etats n'auront plus le choix aujourd'hui que de proposer un autre modèle de croissance alliant la libre entreprise, le marché et la justice sociale. Si cette crise est en un sens salutaire c'est qu'elle accélérera la renaissance d'un autre modèle de croissance des pays industrialisés et, par conséquent, la renaissance d'un autre modèle de croissance mondiale.