La situation actuelle des entreprises confisquées et les décrets réglant les biens mal acquis ont fait l'objet de plusieurs interrogations. Soucieux d'apporter plus d'éclaircissement sur la question, Investir En Tunisie a contacté M. Fayçal Derbel, expert comptable associé. 1- Vous avez relevé certaines insuffisances au niveau du décret loi du 14 mars 2011 régissant la confiscation des biens mal acquis. Pouvez-vous nous fournir de plus amples éclaircissements sur cette question ? Le décret-loi régissant la confiscation des biens mal acquis a été publié exactement deux mois (jour pour jour) après la Révolution du 14 janvier 2011. Cette période est relativement courte pour préparer et publier un texte d'une si grande importance, d'autant plus que le contexte était réellement exceptionnel, marqué par un cumul de pouvoirs (exécutif et législatif) et une absence d'organes consultatifs et de référentiel constitutionnel. Les quelques imperfections de forme relevées lors de la publication du texte ou suite à sa mise en application ont fait l'objet de régularisations à travers des dispositions subséquentes, notamment celles introduites par le décret-loi n° 47 du 31 mai 2011. Outre la prorogation des délais inhérents à l'accomplissement de certaines formalités, ce décret-loi a prévu l'exclusion du périmètre de la confiscation, sous certaines conditions, des biens hérités (ce qui constitue une omission de taille dans le texte initial). Au niveau du fonds, je pense que certains aspects liés à la mesure introduite par le décret-loi en question, méritent d'être complétés ou clarifiés. Tout d'abord, la mesure préconisée ne prévoit que la confiscation des biens et valeurs, sous leurs diverses formes, donc une confiscation du patrimoine et qui ne couvre que les personnes nommément citées (112 personnes en plus du président déchu et de son épouse). Quid alors des autres personnes « satellites » qui ont profité de façon ponctuelle ou limitée dans le temps, de privilèges (déclassement de terrains par exemple), de monopoles (exclusivité des importations de certains produits), ou de divers autres avantages ? Une confiscation de tout le patrimoine de ces personnes « satellites » serait peut être une mesure assez sévère, alors qu'une confiscation des profits résultant desdits avantages et privilèges serait un acte de justice réellement salutaire. Or, à l'état actuel du texte, la confiscation des profits n'a été prévue ni explicitement, ni implicitement, par conséquent elle ne peut pas être mise en œuvre. La loi régissant la confiscation, promulguée juste après la proclamation de la république en juillet 1957 (il y 54 ans !) semble être plus complète que le texte de 2011, puisque la loi 57-13 du 17 août 1957 portant confiscation des biens mal acquis, a explicitement prévu le mécanisme de la confiscation des profits à travers son article premier stipulant ce qui suit : « Seront confisqués au profit du trésor public, dans les conditions fixées par la présente loi, les profits réalisés avant la publication de la loi, par suite de : violation de la réglementation en vigueur, abus d'autorité, de mandat, de fonction ou d'influence réelle ou supposée » L'article 2 de la loi de 1957 ajoute que lorsqu'il est démontré que ces profits avaient échappé à l'impôt, la haute Cour de justice pourra infliger une amende qui pourra atteindre le triple du profit. D'un autre côté, nous relevons que l'article premier a fixé avec précision les personnes concernées par la confiscation en les citant nommément soit dans le corps du texte (président déchu et son épouse) soit dans la liste qui lui est annexée. Or, l'énonciation portée à la fin du premier alinéa de l'article premier du décret-loi vient à l'encontre de la précision et pertinence recherchées. En effet, cet alinéa prévoit la possibilité d'étendre la confiscation à toute autre personne possédant des biens mal acquis. Il s'agit là, à mon avis de dispositions antinomiques, ne serait-ce au niveau conceptuel. L'article premier du décret-loi prévoit d'un côté une liste limitative des personnes concernées par la confiscation, de l'autre une extension de cette mesure à toute autre personne (dans l'anonymat) disposant de biens mal acquis. L'on se pose alors la question, pour savoir la portée et l'intérêt de cette extension, puisque, dans tous les cas, celle-ci ne pourrait être instituée qu'à travers un autre décret-loi ? 2- Comment voyez-vous la situation des entreprises confisquées ? Je crois que la situation de ces entreprises dépend des objectifs, de la structure, et des orientations de départ desdites entreprises (tels qu'ils ont été prévus au moment de la constitution). Les entreprises qui, dés le départ, ont été lancées dans la perspective de bénéficier de monopoles, de privilèges ou de passe-droits, sont bien évidemment vouées à l'échec et appelées à disparaître sans délai. Les entreprises qui ont été créées à partir d'une étude confirmant des potentialités d'exploitation et une rentabilité assurée en conformité avec les lois et les règlements, ne seraient pas, à mon avis, affectées par la mesure de confiscation, elles pourraient poursuivre leur activité dans des conditions normales. Il convient toutefois de préciser que ces entreprises ne doivent pas subir les conséquences préjudiciables de la lenteur des procédures administratives qui pourraient empêcher par exemple, les administrateurs de mener leur mission avec la rapidité et la célérité recherchées. Il est vrai que certaines entreprises se trouvent dans des situations critiques. Celles-ci ne sont pas, à mon avis, dues à la confiscation elle-même, mais résultent plutôt de difficultés de coordination, d'attitude beaucoup trop prudente de la part des banquiers ou encore de problèmes sociaux, à l'instar de plusieurs entreprises non concernées par la confiscation. Pour conclure, force est d'affirmer que le décret-loi portant confiscation de biens mal acquis constitue une mesure salutaire pour que les biens spoliés reviennent à son propriétaire légitime et incontesté qui est l'Etat. Il sera certainement suivi par d'autres textes de même objet pour la récupération des biens du peuple, il serait fortement indiqué de prévoir au niveau de ces textes, la confiscation des profits réalisés par toutes personnes ayant bénéficié d'avantages, de monopoles ou de passe-droits par l'effet de l'influence, de l'abus de l'autorité ou de la violation de la réglementation. Propos recueillis par Khadija Taboubi