Le Forum Ibn Khaldoun pour le Développement (FIKD), a publié ce vendredi 22 mai 2020, une synthèse d'un récent débat portant sur « les enjeux de la crise économique et sociale en 2020 ». Le débat a été mené dans le contexte particulier de la pandémie Covid-19, qui a mis le monde entier au quasi arrêt. Au cours du débat, il a été question des mesures à adopter pour limiter les tensions et pressions sur les plans économique, social et financier qui résulteront de la pandémie…
Comment faire face à ces impacts tout en évitant d'hypothéquer l'avenir ? Quelles sont les politiques et les actions susceptibles de minimiser le coût social de la crise tout en créant les conditions d'une forte relance de l'économie dès que les conditions le permettent ? Quelles sont les transformations du tissu économique à amorcer afin d'accéder à un palier de développement supérieur sur des bases viables et durables ? Après ces questions posées par le débat, voici une série de recommandations pour faire face au triple enjeu économique, social et financier de la crise que vit le pays.
La première recommandation a concerné l'ajustement de la réponse monétaire et financière. D'abord à travers l'annulation du taux d'intérêt durant la période de confinement pour les entreprises bénéficiant de la suspension de remboursement ; l'extension de la bonification de 3 points en vigueur pour les nouveaux projets du secteur productif aux projets de restructuration particulièrement aux activités sinistrées à l'instar du tourisme, de l'industrie de l'habillement et de l'industrie électrique et le financement des fonds de roulement des entreprises opérant dans les secteurs fortement sinistrés suivant des conditions de faveur.
Ensuite il a été question de renforcer la réponse économique afin de réduire les pressions attendues sur le marché de l'emploi tout en relançant la production. Les intervenants ont recommandé de lancer un plan d'urgence pour les industries exportatrices. La politique de soutien ciblé du produit tunisien sur le marché intérieur pourrait être mise en œuvre à travers de nombreuses mesures. Le lancement par exemple de vastes campagnes de promotion des marques tunisiennes de textiles et d'habillement sur le marché tunisien ou encore l'incitation des grandes surfaces à créer des rayons spécialisés pour l'habillement tunisien et les produits de l'artisanat et la prohibition de l'importation et de la commercialisation des produits concurrençant déloyalement les produits artisanaux tunisiens en faisant valoir l'exception culturelle admise par l'OMC.
L'élaboration d'un vaste programme, de rénovation et de mise à jour du tourisme, a été proposée. Ces rénovations devront concerner la propreté, la fonctionnalité, la qualité des prestations, l'informatisation de la gestion, la connexion au haut débit, le professionnalisme des employés, le cachet et la touche tunisienne dans la restauration et les décorations, la qualité de l'accueil dans les aéroports et dans les postes frontaliers ainsi que les facilités de change.
Une accélération de la transformation de l'économie tunisienne est plus que jamais nécessaire, ont souligné les experts. Il faudra ainsi négocier rapidement un nouveau tournant de l'économie tunisienne privilégiant les activités à fort contenu de savoir compte tenu d'une part de l'importante transformation de la demande additionnelle d'emploi, composée désormais de plus de 60 pour cent par les sortants des universités et des instituts supérieurs de formation et, d'autre part, de la concurrence ardue de la part des pays pratiquant la politique des bas salaires. Ces transformations peuvent être menées à travers le secteur de la santé qui pourrait être un important vecteur de développement, la transformation numérique de l'économie tunisienne d'une haute priorité, l'industrie de l'environnement qui offre aussi d'importantes opportunités.
La discussion a ensuite porté sur l'enjeu sociétal de la crise du Covid-19. Il a été précisé que la perspective de récession de 4.3% du PIB impactera fortement l'emploi en 2020 d'autant que les secteurs les plus touchés par la crise seraient ceux qui ont un fort contenu d'emploi. Les secteurs les plus impactés seront en particulier le tourisme, les industries du textile, de l'habillement et des chaussures, l'industrie mécanique et électrique et par ricochet de nombreux petits métiers qui en sont liés en tête desquels l'artisanat. Le nombre de personnes qui risquent de perdre leur emploi ou de perdre une importante partie de leur source de revenu serait a priori important. Les simulations effectuées situent l'aggravation du taux de chômage dans une fourchette de quatre points de pourcentage à dix points, ce qui correspond à une augmentation du nombre de chômeurs entre 170 000 et 400 000 personnes.
Pour aider à contrer ces effets, les experts ont recommandé le lancement des grands travaux d'utilité publique comme alternative à l'aide sociale sans contrepartie. Le renforcement de la politique active de l'emploi a également été proposé. Une enveloppe additionnelle serait ainsi opportune à mettre en place pour aider les jeunes perdant leur emploi ou ayant des difficultés à s'insérer sur le marché du travail à bénéficier d'un chèque de formation , pour se perfectionner dans les langues, pour acquérir une qualification professionnelle et une compétence (informatique, comptabilité..) afin d'accroitre leur employabilité dès que la relance économique se précise . Le développement du microcrédit, le développement de l'esprit de volontariat et de l'engagement civil ainsi que la refonte de la protection sociale sont autant de points qui ont été analysés et proposés.
Pour ce qui est de l'enjeu des finances publiques, il a été souligné que la récession que va connaitre la Tunisie entrainerait, selon les dernières évaluations du FMI, une moins-value de 5,2 milliards de dinars au niveau des ressources propres du budget de l'Etat. Tout en assumant la lourde facture du Covid-19. Les experts ont estimé qu'il est vital de se préparer à engager, dès que la relance économique se profile, de vastes programmes de réformes et de restructuration des finances publiques.
Ils ont ainsi appelé à renforcer les efforts déployés en matière d'amélioration de l'analyse et de la gestion des risques budgétaires en élargissant le cadre étroit du budget de l'Etat tel qu'il est élaboré actuellement afin d'avoir une vision globale des engagements prenant en compte les établissements publics à caractère non administratif, les fonds spéciaux, le coût des exonérations publiques et les garanties accordées par l'Etat ainsi que les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale.
Les experts ont ensuite souligné la nécessité d'accélérer la finalisation de la fiscalité dans le sens du renforcement de l'équité fiscale et de la confiance des contribuables ainsi que de la préservation de la compétitivité de l'entreprise. Ils ont enfin estimé important d'engager une rationalisation des dépenses publiques à travers d'abord le redéploiement du personnel de l'Etat sur la base d'un audit des différentes administrations centrales et régionales en vue de déterminer les plans de charges requis, les programmes de formation nécessaires et les logistiques qu'il importe de mettre en place pour une réduction graduelle de l'effectif de la fonction publique en maintenant la règle de remplacement d'une personne sur 4 départs à la retraite.
La rationalisation de la politique de subvention et la restructuration des entreprises publiques dans le cadre de contrat programmes en concertation avec les structures consultatives et syndicales ont aussi été présentés comme socles pour l'optimisation des dépenses publiques.
Il est ressorti de ce débat que si le grave impact économique est inévitable sur le court-terme, l'après pandémie Covid-19 est aussi porteur d'opportunités sur le long terme qu'il faudra se préparer à saisir. Les mutations que va connaitre le tissu économique mondial seront irréversibles et si certaines productions ne seront plus d'actualité, d'autres vont connaître un essor certain au cours des prochaines décennies. On parle notamment des secteurs de la santé, du numérique et de l'environnement, qui constituent un important atout pour la Tunisie. Le pays devra être alors prêt à se positionner à temps pour exploiter ces opportunités afin de créer davantage de richesses sur des bases plus durables…