Il fallait s'y attendre. Les propos de Moncef Marzouki traitant la société tunisienne de tous les maux ont suscité un tollé général. Dans une émission diffusée jeudi dernier sur la chaîne qatarie Al Jazeera, il a affirmé qu'à son retour de l'étranger, il a « découvert comment fonctionne la société tunisienne : le favoritisme, la corruption, le travail mal exécuté, le mensonge, l'hypocrisie.. ». Après de telles affirmations, il était naturel que les critiques, parfois acerbes, diffamatoires même, fusent contre Moncef Marzouki. Seuls quelques uns, par amitié pour certains, par vassalité pour d'autres, continuent de soutenir l'ancien président provisoire de la République. La subordination d'Imed Daimi a atteint un seuil qui lui permet même de qualifier Marzouki de grand penseur. Seul bémol, c'est que Daimi n'a jamais brillé par la perspicacité de ses jugements. Il ne s'agit pas de verser dans un patriotisme puéril qui frise le déni de notre réalité, ni d'interdire à Moncef Marzouki de donner son avis sur la société tunisienne et d'user de son droit fondamental et inaliénable à la liberté d'expression. Il s'agit simplement de relever à travers le discours de Marzouki et son contexte, les incohérences anciennes et présentes du personnage. En effet, si telle est l'idée que Moncef Marzouki porte sur la société tunisienne, pourquoi s'est-il précipité, au début de l'année 2011, pour quitter son eldorado français et rentrer à Tunis pour profiter largement des bienfaits d'une révolution à laquelle il n'a pas participé ? S'est-il d'ailleurs demandé un seul instant comment une société qu'il juge aussi sordidement peut-elle couver puis réussir une révolution aussi extraordinaire et atypique que celle du 14 janvier 2011 ?
La haine qu'éprouve Marzouki envers le peuple tunisien, il n'y a pas d'autres mots pour décrire ses propos chez ses amis d'Al Jazeera, les Tunisiens l'ont sentie très tôt. Maladroitement, ils lui ont rendu la pareille, parfois d'une manière violente, comme à la Kasbah où les assaillants de la place du gouvernement ont refusé que Marzouki leur rende visite et l'ont chassé vigoureusement. Il en est reparti avec les cris, les noms d'oiseaux, des coups sur le crane et les lunettes brisées. Les jeunes de Sidi Bouzid lui avaient réservé le même accueil et lui ont confisqué son portable et interdit de prononcer un discours. Au cours des élections pour la constituante, en octobre 2011, le candidat Moncef Marzouki avait peiné pour avoir la confiance de quelques milliers d'électeurs lui permettant de siéger à la chambre sans plus. Et s'il avait été désigné président provisoire de la République, ce n'est ni par le suffrage universel, ni par la volonté du peuple de la Tunisie, mais uniquement par la volonté de ses alliés islamistes. A l'élection présidentielle de 2014, même avec le million de voix qui lui a été réquisitionné par Ennahdha, les Tunisiens lui ont préféré Béji Caïd Essebsi. Aujourd'hui, Moncef Marzouki et son parti sont accrédités de moins de un pour cent dans les sondages. Il semble que la sagesse populaire s'est exprimée.
D'un autre côté, si tel est l'avis que porte Marzouki sur ses concitoyens et sur la société tunisienne, pourquoi ne l'exprime t-il pas à l'intérieur du pays où la liberté d'expression lui est, comme pour tout Tunisien, garantie ? Sur le plan éthique, il est connu, ici et ailleurs, qu'un responsable en exercice ou pas, se refuse de porter des critiques sur ce qui se passe dans son pays à l'étranger. Les propos de Marzouki sur Al Jazeera constituent donc un écart éthique et moral qui ne le rend pas meilleur que le peuple qu'il stigmatise. Les maux de la société tunisienne sont nombreux et il est du devoir de tous d'en discuter pour les traiter. Mais il est impératif d'en parler uniquement à l'intérieur du pays, entre Tunisiens. Cela s'appelle le minimum patriotique. Sauf si les engagements financiers de Moncef Marzouki avec Al Jazeera, anciens et désormais publics, l'empêchent d'adopter une attitude plus raffinée et transcendent tous les autres engagements.
Enfin si tel est l'avis que porte Moncef Marzouki sur sa société, pourquoi n'a-t-il rien fait durant ses trois longues années au palais présidentiel de Carthage pour changer les maux de la Tunisie : «..le favoritisme, la corruption, le travail mal exécuté, le mensonge, l'hypocrisie.. ». En les regardant de plus prés, ces calamités ne sont-elles pas précisément les mêmes qu'on attribue à l'action présidentielle de Moncef Marzouki ? Bonté divine, pourquoi n'a-t-il pas choisi de se taire !