Quand la Troïka était au pouvoir, on s'indignait de pratiques et de déclarations qui trainaient dans la boue ce que l'on appelle le prestige de l'Etat. De Sihem Badi à Ali Laârayedh en passant par Abdelwahab Maâter et Rafik Abdessalem, l'Etat avait perdu son « aura ». Naturellement, ce fût l'un des chevaux de bataille de ceux qui voulaient leur succéder au pouvoir. Nidaa Tounes, pendant la campagne électorale, avait longuement insisté sur le rétablissement du prestige de l'Etat en tant que l'un de ses objectifs s'il était élu. Quand ce parti a gagné les élections, il était légitime de caresser un certain espoir concernant le rétablissement de ce fameux prestige de l'Etat. Plus tard, ce prestige tenait plus de la blague qu'autre chose. Aujourd'hui, la blague ne fait plus rire personne. On pourrait parler du non-respect des délais constitutionnels, du problème du CSM ou des élections municipales, mais les exemples se bousculent, malheureusement.
Abid Briki, ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, déclarait récemment avoir découvert une délégation qui payait 550 employés. Le sureffectif est évidemment flagrant et il y a de sérieux doutes quant à une éventuelle malversation. M. Briki n'en parlerait même pas si ce n'était pas le cas. Allons-nous vraiment croire que cette malversation a « échappé » pendant des années aux radars de la comptabilité publique ou devons-nous plutôt penser que la chaine de bénéficiaires et de complices monte plus haut que la délégation ? La logique voudrait que ce soit plutôt la deuxième option. M. le ministre « découvre » également que les comptes de l'Etat sont alourdis par une masse salariale trop importante. Il a négocié avec ses anciens compères du syndicat pour trouver le moyen de retarder les augmentations salariales dans le public. Tout cela est bien beau. Mais est-ce que Abid Briki se souvient des années où il était, lui-même, de l'autre côté de la table des négociations ? Il avait bataillé ferme pour la concrétisation d'une aberration purement tunisienne : le recrutement par l'Etat de tous les employés des sociétés de sous-traitance ! Donc, après avoir bataillé pour faire recruter des milliers de personnes dans la fonction publique, Abid Briki vient « sensibiliser » à la situation des finances publiques ?
Autre exemple, bien plus parlant cette fois. Ahmed Laâmari, élu Ennahdha de notre honorable assemblée n'en a rien à faire de l'Etat. A tel point qu'il est prêt à le remplacer ! Ainsi, ce cher député a pris la tête d'une délégation à la composition obscure et est allé en Libye signer un accord avec une faction libyenne pour l'échange de marchandises à travers le passage de Ras Jedir ! Rien que ça !
Donc ce monsieur s'est senti l'étoffe d'un leader national et est allé négocier au nom de l'Etat tunisien, sans absolument aucune réaction de ce dernier. L'Etat tunisien se fait usurper ses prérogatives et se fait ridiculiser par un député sans réagir. Prestige de l'Etat dites-vous ? Mais quel prestige un Etat peut-il invoquer quand c'est la crédibilité qui fait défaut ? Pour la petite histoire, c'est ce même élu qui avait été arrêté par les forces de l'ordre parce qu'il « vadrouillait » lors de l'attaque terroriste de Ben Guerdène…
Troisième exemple, celui de Samira Meraï, ministre de la Santé. A peine installée à Bab Saâdoun, la ministre décide de virer le directeur de l'hôpital de Sfax. Son prédécesseur, Said Aïdi, avait tenu à faire respecter sa décision de nommer un militaire à la tête de cet hôpital. Cela avait provoqué des grèves et contestations de la part du syndicat de cet hôpital. Mais l'ancien ministre n'a pas plié. En arrivant à la santé, Samira Meraï a balayé tout cela du revers de la main et a fait ce que le syndicat demandait. Quand l'Etat recule, cède ses prérogatives et n'est plus décideur, quel prestige peut-on invoquer ?
Dans leurs maisons et devant leurs télévisions, des dizaines de personnes regardent ce triste spectacle avec dépit. Ce sont les personnes qui ont construit l'Etat tunisien, indépendamment de la politique, brique par brique et au prix de longues années de travail acharné. Ils regardent l'Etat tunisien trainé encore plus dans la boue et ils se taisent. Ils n'ont pas d'autre choix depuis qu'on les a « dégagés » après avoir commis l'impardonnable faute d'avoir été fonctionnaires durant les 23 dernières années…