Le nom du ministre de l'Intérieur que choisira Habib Essid était impatiemment attendu. Celui proposé, qui a finalement obtenu le poste, est Mohamed Nejem Gharsalli. Sa nomination a suscité les plus vives critiques. En prenant ses fonctions, ses premières déclarations et mesures semblent donner raison aux critiques qui s'étaient levées contre la nomination de ce juge à la tête du ministère le plus puissant de Tunisie. Une triple pression attendait le titulaire du portefeuille de l'Intérieur. La première est celle de l'impératif de la lutte contre le terrorisme, à l'heure où celui-ci continue à faire des ravages dans les rangs des forces sécuritaires tunisiennes. La deuxième contrainte est relative à l'élucidation définitive et complète des meurtres politiques de Mohamed Brahmi et de Chokri Belaïd. Le troisième impératif est celui d'entreprendre des réformes de fond au sein de l'appareil sécuritaire tunisien. Ces réformes concernent principalement la lutte contre la corruption ainsi que l'amélioration des conditions de travail des agents sécuritaires tunisiens. Mohamed Nejem Gharsalli a été nommé à la tête d'un ministère compliqué à gérer et qui traîne une réputation sulfureuse. Les juges qui ont côtoyé le ministre pendant plusieurs années ce sont élevés contre la nomination de M. Gharsalli. Ils ont déclaré que ce ministre avait collaboré avec les deux anciens régimes et avait même participé au putsch contre le syndicat des magistrats sous Ben Ali. Toutefois, Habib Essid a tenu bon et a maintenu Mohamed Nejem Gharsalli au ministère de l'Intérieur.
Par la suite, la polémique concernant l'identité du ministre a laissé la place à l'expectative. Nombreux ont été ceux qui guettaient les premières décisions et les premières mesures du ministre afin de « juger sur pièce ». L'une des actions les plus remarquées du ministre a eu lieu le 24 février 2015 en rendant une visite inopinée à la caserne de la sûreté nationale du 20 mars à Bouchoucha. Il y est allé pour contrôler la situation des prisonniers en attente de jugement et vérifier si les conditions de détention sont, ou pas, conformes aux standards et aux lois en vigueur.
A l'issue de cette visite, le ministre de l'Intérieur a déclaré ne pas avoir relevé d'infractions majeures. Ce constat effectué par Mohamed Nejem Gharsalli a été fortement contesté par plusieurs activistes concernés par la situation des personnes arrêtées en attente de comparution. Azyz Amami, qui lui-même avait passé quelques nuits à Bouchoucha, a brossé un tableau beaucoup moins luisant que celui communiqué par les autorités. Dans l'émission 24/7 d'Elyes Gharbi, l'activiste a raconté les pratiques dégradantes et contraires aux lois qui ont cours au centre de détention de Bouchoucha.
Ainsi, il a évoqué le traitement indigne réservé aux mineurs dans ce centre de détention. Selon Azyz Amami, les mineurs sont astreints aux tâches les plus ingrates avec la complicité des gardiens de la prison. Des tâches comme celle de nettoyer les chaussures des prisonniers et des gardiens. Il a également évoqué les agressions sexuelles qui visent les mineurs au centre de détention de Bouchoucha. L'activiste a, par ailleurs, évoqué les pratiques de torture qui ont toujours cours dans les centres de détention à Bouchoucha et ailleurs. Il y a également des accusations de racket puisque quelques paquets de cigarettes ont coûté 400 dinars à Azyz Amami. Les déclarations et les constations de Azyz Amami sont étayées par les témoignages de plusieurs personnes qui ont fait un malheureux passage au centre de détention de Bouchoucha. Certains de ces témoignages évoquent même un lifting qui aurait été fait au centre de détention de Bouchoucha la veille de la visite du ministre de l'Intérieur…
Sur un tout autre plan, le ministre de l'Intérieur devra également composer avec les syndicats de la police nationale qui ont pris une certaine ampleur depuis la révolution. Toutefois, cette collaboration ne semble pas partie du bon pied. Le 26 février, le ministère de l'Intérieur a rendu public un communiqué dont l'objectif est de rappeler les syndicats à l'ordre. Le ministère de l'Avenue Habib Bourguiba appelle les syndicats à se conformer aux lois régissant le devoir de réserve et la non-ingérence dans la gestion administrative du ministère. Le communiqué prend un ton plus ferme en assurant que le ministère entreprendra toutes les mesures légales et disciplinaires contre tout syndicaliste qui fera des déclarations aux médias en dehors du champ de la promotion du niveau social des agents des forces de sécurité intérieure. Il est vrai que plusieurs révélations médiatiques ont été faites par les syndicalistes du secteur sécuritaire. On rappellera, dans cette optique, les déclarations polémiques de Sahbi Jouini ou de Issam Dardouri au sujet d'une importante quantité de médicaments envoyés par le ministère en Libye. Le ministère veut manifestement juguler le flot de critiques et de mises en cause qu'engendre ce type de déclarations aux médias.
Nul besoin de démontrer l'importance stratégique du ministère de l'Intérieur aussi bien dans le contexte actuel de lutte contre le terrorisme ou par rapport à l'héritage historique de ce ministère dans la gouvernance du pays. La nomination de Mohamed Nejem Garsalli à sa tête n'a pas suscité d'enthousiasme. Les premières mesures confortent cette impression même si la lutte contre le terrorisme continue à avoir un certain succès. Le ministre devra faire plus, non seulement pour venir à bout des problématiques qui se posent à lui mais aussi pour conquérir la confiance de l'opinion publique et des différents intervenants.