- Au delà de ce qui va se passer au niveau de remaniement ministériel ou au niveau la mise sur pied d'une coalition nationale ou même d'un gouvernement d'unité nationale, les problèmes structurants resteront les mêmes, à savoir : • Comment limiter ou mettre fin au marché noir, au marché parallèle ou au marché informel qui a atteint aujourd'hui des proportions inquiétantes. Parce que ce marché draine avec lui la délinquance économique, la corruption et la commercialisation de la drogue, des armes et participe à la transformation culturelle de la société qui finit par croire à l'argent facile. Par ailleurs, on sait, depuis une dizaine d'années déjà, qu'il existe une étroite corrélation entre marché noir et corruption de l'administration et de la déstabilisation de l'Etat de droit. • Comment les partis politiques au pouvoir et la Constituante vont-ils agir pour créer un Etat Fédérateur entre tous les citoyens et toutes les régions : un nouvel Etat différent du précédent ? • Pourquoi le militantisme non marchand n'a pas été valorisé sous la forme d'une valeur symbolique ? • Pourquoi la société tunisienne dans son ensemble n'a pas procédé à la création des nouvelles valeurs autour de la justice sociale, des droits économiques et sociaux, des droits à la culture, à l'éducation, à la santé, etc. qui donnent un sens pragmatique à la révolution en organisant de véritables campagnes autour de la solidarité, de la non-violence, de la culture de la paix, du respect des différences et de la diversité et également autour du patrimoine culturel et naturel. De tels outils participent, sur le plan symbolique, à renforcer l'identité collective ? • Pourquoi il n'y a pas eu de vrais débats autour des nouvelles valeurs telles que : un nationalisme fédérateur et une identité culturelle tunisienne qui intègrent la culture démocratique en tant que composante essentielle, etc. ? • Pourquoi il n'y a toujours pas eu la mise en place d'un projet de société consensuel pour la Tunisie, ouvert au monde garant d'une transition démocratique sans violences ? • Pourquoi la majorité des partis politiques tunisiens sont ils toujours attachés au constructivisme ? Une approche politique qui considère que seul l'Etat est capable de gérer les questions politiques, sociales, économiques et culturelles. En d'autres termes, seules les structures bureaucratiques sont en mesure de gérer la société à partir d'un Etat centralisé : tout doit émaner de l'Etat. Islamistes, libéraux, socio-démocrates… se rejoignent sur ce point pour une raison simple ; leurs fondements politiques et idéologiques respectifs n'ont jamais été épuisés dans la pensée démocratique. Avec une telle approche largement partagée par les courants politiques tunisiens, la transition démocratique ne peut aboutir dans un premier temps qu'à « une démocratisation étatique ». Un exemple simple et significatif : l'initiative de l'UGTT qui prône un dialogue national (qui n'émane pas de l'Etat ou des structures de l'Etat) a été déstabilisée. Cette même initiative, une fois récupérée par les structures de l'Etat, a pris une ampleur idéologique et symbolique particulière. On peut retrouver de pareils exemples dans d'autres secteurs tels que les médias, la justice, etc. • Cette approche constructiviste, une fois mélangée aux partis dominants ou aux partis uniques, l'Etat se transforme en une structure autoritaire. • D'ailleurs, le précurseur de la pensée démocratique en Tunisie, Ahmed Tlili (voir entre autres un de ses écrits les plus connus « Lettre à Bourguiba » en 1966) n'est presque jamais cité comme référence à la revendication démocratique. Alors, n'est-il pas aussi important de réformer le constructivisme tunisien pour aller plus vite vers la démocratie ? • Pourquoi cet unanimisme autour de la démocratie en Tunisie ? Est-ce qu'il s'agit d'une conviction ou d'une tactique ? Est ce que la société tunisienne s'est transformée d'un coup ? Plus personne ne croit au parti unique, à la solution militaire ou au populisme ? Il n'y a plus de partis qui croient au modèle autoritaire de l'Etat ? Est ce qu'il y a encore en Tunisie des courants politiques convaincus que la démocratie passe nécessairement après le développement ? • Enfin, il est clair que les révolutions arabes se sont déclenchées dans un monde sans croissance, en perpétuelle crise économique, un monde où l'austérité et l'appauvrissement des populations se sont transformés en une réalité qui semble incontournable, presqu'une fatalité, et que tout cela désavantage les nouveaux dirigeants de ce « printemps arabe », nous le savons et nous en sommes conscients, mais il n'est pas interdit d'imaginer un monde meilleur pour nous tous. • Les Tunisiens ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont, la Tunisie est un petit pays gérables sur tous les plans. Il suffit d'une volonté politique qui implique et qui responsabilise tous les acteurs de la société. * Ridha Tlili est professeur d'histoire géopolitique et directeur de la Fondation Ahmed Tlili pour la Culture démocratique et la Justice sociale.