Ils ont commencé par les maisons closes, continué avec le cinéma, poursuivi avec la télévision, d'abord Nessma TV et à présent les médias publics. Ils se sont installés à La Manouba, auraient instauré un «émirat» à Sejnane, ils font leur jihad à Bir Ali Ben Khelifa, ont frappé des étudiantes, se sont confrontés aux syndicalistes. Des «barbus» auraient également tué un homme connu pour sa piété à Montplaisir ou encore coupé trois doigts à un jeune de Jendouba après avoir incendié la maison d'un de ses proches… Les exactions de ces «barbus» se sont multipliées récemment d'une manière qui pourrait être qualifiée de suspecte. Simple coïncidence ou coups montés? Ces barbus ont-ils décidé conjointement de passer à la vitesse supérieure et d'instaurer chez les Tunisiens une psychose semblable à l'expérience algérienne ou est-ce des faits isolés de crimes de droit commun dont les médias s'abreuvent quotidiennement? Les témoignages et déclarations des différentes parties laissent planer des zones d'ombre et le silence complice du parti au pouvoir ne fait que renforcer ces doutes. La faculté de La Manouba cristallise à elle seule les incohérences de la psychose salafiste. Trois camps se renvoient mutuellement la balle, à savoir le gouvernement, les étudiants soutenus par les universitaires et enfin les salafistes ou autres islamistes. Le jour où le drapeau tunisien a été remplacé par un drapeau noir, des étudiants et étudiantes ont subi des violences de la part de supposés salafistes, y compris à l'extérieur de la faculté, sans que les autorités n'interviennent. Cette version est celle des étudiants et universitaires. De leur côté, les salafistes de la Manouba tentent de se justifier. D'après plusieurs témoignages recueillis dans les médias, des barbus relatent les faits tels qu'ils les auraient vécus. Selon eux, le doyen de l'université aurait frappé une étudiante portant le niqab et ils se seraient mobilisés pacifiquement pour protester contre ces atteintes. Mais les salafistes, eux-mêmes, se contredisent. Dans une vidéo publiée par nos confrères de Tunisie Numérique, plusieurs d'entre eux essaieront, dans une cacophonie ambiante, de se dédouaner des violences qui ont été perpétrées. Ils affirment notamment que la personne qui a enlevé le drapeau «n'est pas des leurs» et qu'il y a des «mondassin » (intrus ou infiltrés), qui veulent semer le trouble ; ces mêmes intrus seraient à l'origine des violences. Des allégations qui ne plairont pas à d'autres barbus présents et la discussion se transformera, finalement, en une bagarre généralisée. Dans cette affaire, le pouvoir en place observe un silence suspect. Moncef Ben Salem appelé à remettre de l'ordre dans les universités accuse le doyen, Habib Kazdoghli d'être à l'origine de tous les maux. Le fils du ministre de l'Enseignement supérieur ferait également partie des étudiants islamistes ayant soutenu les salafistes. Le ministre de l'Intérieur, Ali Laârayedh, quant à lui, prendra pour excuse le fait que la police n'a pas le droit d'intervenir à l'intérieur de la faculté, et enfin, concernant les violences perpétrées à l'extérieur, le nouveau porte-parole du ministère de l'Intérieur affirme ne pas en avoir eu connaissance. Ainsi chacune des parties se renvoie la faute, et le climat se détériore sans que les autorités n'assument leurs responsabilités. Deux jours après cet incident, le meurtre de Lotfi Kallel à Montplaisir sera rapporté par l'ensemble des médias. Un meurtre pour le moins mystérieux et qui aura fait couler beaucoup d'encre. Lotfi Kallel est un prédicateur âgé de 55 ans, connu pour sa piété et qui a été poignardé devant sa maison alors qu'il se rendait à la mosquée pour la prière de l'aube. Peu de temps après le meurtre, la vidéo d'une femme qui prétend être sa sœur circule sur l'ensemble des réseaux sociaux. Munie d'une photo de la victime, la femme s'est déplacée devant le siège de la Télévision nationale pour crier sa colère et sa tristesse, un désespoir ponctué par un discours politique où elle évoquera tour à tour, de manière incohérente, la nécessité d'un Etat islamique, le ministère de l'Intérieur, Ben Ali ou encore les Trabelsi. Plus tard, les fils de la victime témoigneront sur Mosaïque Fm, affirmant que leur père était aimé de tous et qu'ils ne comprenaient pas cet acte criminel. Le soir même, Khaled Tarrouch, porte-parole du ministère de l'Intérieur, évoque un crime de droit commun dont l'enquête, pour identifier les coupables, est en cours. Les hypothèses fleurissaient alors sur les circonstances de la mort, et certains observateurs allaient jusqu'à privilégier la thèse du coup monté. Un crime prémédité par des résidus de l'ancien régime, perpétré pour faire monter la tension dans le camp des islamistes ou salafistes et créer un climat de terreur, le scénario algérien… Mais les barbus n'auront pas le temps de réagir. En effet, le lendemain, le ministère de l'Intérieur affirme l'existence d'une vidéo de surveillance et de témoignages concordants, prouvant que les coupables sont eux-mêmes des «barbus». Le jour même, un des fils de la victime avait affirmé sur différents médias que son père aurait reçu des menaces d'un groupe de salafistes, quelques jours auparavant… un «détail» omis lors du premier témoignage sur Mosaïque Fm. Les Tunisiens n'auront pas le temps de digérer cette affaire que survient celle du jeune homme de Jendouba. Les premières informations qui auront filtré dans les médias concernaient une prétendue «application de la Chariâa» exercée par des salafistes à l'encontre de ce jeune homme. Ce dernier aurait également reçu, précédemment, des menaces de ce groupe de «barbus», présumés coupables de l'incendie de la maison d'un proche de la victime. La main coupée se transformera en trois doigts, ou un seul, selon les sources et, finalement, cette agression n'aura aucun rapport avec une quelconque application de la loi islamique. Toujours est-il qu'encore une fois, le ministère de l'Intérieur pointe du doigt des «barbus»! Des rumeurs courent à présent, sur ces mêmes salafistes qui sont accusés de vouloir répéter les agressions à l'acide contre les femmes, notamment des journalistes de la télévision publique. Hassan Ben Braïek responsable du bureau de prêche des pratiquants de la Chariâa dément ces rumeurs et affirme qu'une campagne de dénigrement est aujourd'hui menée à l'encontre des salafistes, devenus à leur tour victimes. Affilié au mouvement des salafistes jihadistes, M. Ben Braïek justifie néanmoins la violence, lorsqu'il s'agit de défendre l'Islam, selon ses propos sur le plateau d'Ettounissia, jeudi 15 mars 2012. L'attitude du ministère de l'Intérieur est elle aussi contradictoire. Ali Laârayedh n'aura aucun mal à accuser les salafistes jihadistes pour les affrontements de Bir Ali Ben Khelifa. Le meurtre perpétré contre le prédicateur de Montplaisir et l'agression contre le jeune homme de Jendouba sont également prêtés aux « barbus ». Les agresseurs de Zied Krichen et les fauteurs de trouble de La Manouba, notamment l'offense faite au drapeau national, sont encore barbus. Pour la quasi-totalité de ces crimes, des vidéos sont disponibles permettant d'identifier les coupables. Pour de nombreuses violences commises, les forces de l'ordre étaient même présentes. Pourtant, aucune volonté gouvernementale ne semble se dégager pour mettre fin à ces exactions et quasiment aucun des coupables précités n'a été appréhendé par la police. Entre temps, les manifestants de l'UGTT sont tabassés et traités d'alcooliques et de contrevenants à la loi, le ministère de l'Intérieur nous annonce un retour à la sécurité par l'arrestation de contrebandiers et de dealer de drogue. Les quantités de drogue ou d'alcool saisis sont communiquées au chiffre près. La première chaîne, lors d'un récent JT, est allée jusqu'à relater l'arrestation d'un trafiquant de volaille à Nabeul, pris sur le vif ! Le trafiquant de dindons est donc mis hors d'état de nuire mais les « barbus » courent toujours… Le directeur d'un journal est jeté en prison pour atteinte aux bonnes mœurs mais celui qui a porté atteinte au symbole de la nation savoure sa liberté, et l'attitude du parti au pouvoir, ne peut que semer le doute dans les esprits. Hier lors des élections au sein des universités, les islamistes ont essuyé une large défaite, et celle-ci, selon de nombreux étudiants, est due au soutien d'Ennahdha apporté aux salafistes. Ces derniers sont devenus des alliés encombrants pour le parti islamiste qui semble être tiraillé par différents courants… et si des zones d'ombre persistent concernant les exactions de présumés salafistes en Tunisie, le silence d'Ennahdha n'en est pas moins complice.