L'Assemblée des représentants du peuple a voté le 27 septembre dernier, à l'occasion d'une plénière extraordinaire, à huit jours du scrutin présidentiel, à la majorité écrasante, l'amendement de certains articles du code électoral. Le résultat de ce vote ne laisse de place à aucune interprétation et renseigne clairement sur les forces en présence sous l'hémicycle. Ce vote, sans aucun doute, marquera pour longtemps, l'histoire politique du pays et coupe définitivement avec la période de la transition démocratique qui s'est étalée du 14 janvier 2011 au 25 juillet 2021. Il faut rappeler toutefois que ce n'est pas la première fois que le parlement tunisien vote un amendement de la loi électorale à quelques encablures du jour du scrutin. En 2019, à deux mois des élections, 117 députés du parti Tahya Tounes et leurs alliés islamistes d'Ennahdha ont réussi à faire passer un amendement sur mesure du code électoral pour barrer la route à un candidat qui avait les faveurs des sondages d'opinion de l'époque. Cet amendement n'a jamais vu le jour parce que l'ancien président, feu Béji Caïd Essebsi, avait refusé de le signer estimant qu'il n'était pas élégant de changer les règles de jeu en pleine partie. Ce n'est pas le cas du président actuel Kaïs Saïed qui s'est précipité pour signer l'amendement après seulement quelques heures du vote du parlement ce qui a permis sa publication rapide au journal officiel et son entrée en vigueur, moins de 24 heures après. Certains peuvent être étonnés de ces développements rapides et inhabituels. Les observateurs et les personnes averties par contre, ne trouvent dans ce qui se passe aucune surprise. Ils savent que l'Assemblée des représentants du peuple ne représente qu'une partie infime du peuple qui lui a tourné le dos, faisant de ses membres les députés élus par l'un des taux de participation les plus faibles de la planète. Ils savent que l'institution parlementaire a perdu son statut de pouvoir législatif et s'est accommodée à son nouveau rôle de fonction et de chambre d'enregistrement. Tout au long de la séance du vendredi 27 septembre 2024, transmise en direct par la télévision publique, les Tunisiens étaient en présence d'un rassemblement de flagorneurs et de godillots. Certains criaient à se couper le souffle pour convaincre leur auditoire et surtout se convaincre eux-mêmes. D'autres, gênés ou ne comprenant pas ce qui se passe, se cramponnaient à leurs feuilles et trébuchaient à chaque détour de phrase. Même le nombre des députés récalcitrants, une vingtaine (12 non et 8 abstentions) était attendu. La plupart d'entre eux avaient annoncé leurs positions avant le jour du vote. N'empêche que ce vote a laissé un petit arrière goût d'amertume. On aurait pu faire mieux. En premier lieu, il y a le président du parlement qui a déçu beaucoup de monde. Pas trop mais un peu quand même. Ancien bâtonnier, il a semblé plus soucieux de satisfaire le locataire de Carthage que de respecter les règles de base et la jurisprudence en matière de législation. S'il avait eu le même intérêt pour les dizaines d'initiatives législatives calfeutrées dans les tiroirs de son bureau, qu'au projet d'amendement de la loi électorale, il aurait eu une aura et un charisme différents. Il y a aussi tous ces députés qui ont un peu déçu. Ils ont vu le danger imminent qui guète le pays pour appeler à l'amendement de la loi électorale alors qu'ils n'ont pas vu les bombes qui continuent à tomber sur la tête de Palestiniens et des Libanais pour justifier un petit appel en faveur de la reprise de la séance de vote de la loi sur la criminalisation de la normalisation des relations avec l'entité sioniste. Cette séance avait été suspendue depuis des mois après une intervention personnelle du président de la République. Ce dernier a lui aussi quelque peu déçu. On s'attendait à ce qu'il maintienne sa position. Il a expliqué toutefois que les circonstances ne sont pas similaires à celles de 2019. C'est vrai dans le sens qu'à l'époque, il n'était pas candidat à sa propre succession. Mais de là à considérer que la dernière position des députés est «une position historique qui reflète une conscience profonde», cela laisse dubitatif. Pour tout cela, on ne peut s'empêcher d'avoir des craintes. L'avenir du pays semble incertain si ses citoyens ne garantissent pas la sécurité juridique. On ne l'a que trop vérifié dans le passé : le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions.